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Comprendre l’islam, avec ou sans niqab

Une femme musulmane à Londres portant un niqab
© iStock
Les Suisses sont appelés à voter le 7 mars une initiative populaire visant à prohiber la dissimulation du visage dans l’espace public et donc interdire le le port de la burqa et du niqab. Pour Christian Bibollet spécialiste de l'islam, se pose en filigrane la question de la compatibilité sociale, religieuse et politique de la société avec cette religion. Parti pris.
Christian Bibollet
Christian Bibollet est directeur de l’Institut pour les questions relatives à l’islam (IQRI), un groupe de travail du Réseau évangélique suisse.

En un peu plus de dix ans, voici la deuxième initiative populaire visant à restreindre l’expression publique de l’islam (politique) en Suisse. Que cette seconde initiative passe ou pas, on se posera bientôt la question «A quand la prochaine?». Bien d’autres revendications d’associations musulmanes posent en effet problèmes: les heures de piscine réservées aux femmes, le refus des cours de gymnastique pour les jeunes filles, le voilement des fillettes impubères à l’école, les carrés musulmans requis pour que les défunts musulmans reposent à l’écart des infidèles, l’exigence de viande halal dans les cantines, les lieux de prière en entreprises, et bien d’autres demandes éventuelles. Faudra-t-il, pour tarir le cours de ces revendications, inscrire l’interdiction de chacune d’elles dans la Constitution?

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Réfléchir aux causes

Cette dernière initiative semble révéler que le grand public réagit à des phénomènes dont on évite d’évoquer les causes profondes. C’est apparent dans l’argumentaire des initiants en faveur de l’interdiction du voilement du visage aussi bien que dans les divers argumentaires de leurs opposants. C’est donc au niveau des causes qu’il faut réfléchir.

L’interdiction des minarets comme celle du voilement du visage veut sanctionner une manifestation de l’islam dans l’espace public. C’est, par nature, une décision politique. Mais, tandis que pour les uns, il est question de sanctionner des pratiques incompatibles avec notre civilisation, pour d’autres, il s’agit de manifestations d’hostilité envers les musulmans qui relèvent de l’islamophobie, du racisme et de l’intolérance. Il est indéniable que certaines croyances et pratiques de l’islam posent la question de ce qui est tolérable dans notre pays. Quelle est, en effet, la mesure d’incompatibilité sociale, religieuse et politique qu’une société peut supporter sans mettre en danger sa cohésion? C’est le point qu’il faut examiner.

En islam, le comportement social et la manière d’occuper l’espace relèvent de lois divines. Ainsi, le religieux produit le droit que le politique est censé mettre en œuvre. Selon ce schéma, si, dans un pays qui défend la liberté de religion, les islamistes peuvent donner une justification religieuse à une pratique – port du voile ou du niqab par exemple – ils savent qu’il sera quasiment impossible de l’interdire puisqu’eux aussi invoquent la liberté de religion. D’autre part, une prescription musulmane n’est jamais réduite à une pratique individuelle. Elle détermine toujours une forme de vie sociale qui, à son tour, donne naissance à des revendications politiques qui doivent naturellement conduire à la formation d’une société musulmane. Cette mécanique, qui semble imparable, opère actuellement dans certains pays voisins.

La liberté religieuse : pas un absolu intangible

Est-il possible de s’en prémunir? Il existe au moins deux moyens de s’opposer à cet appareil conquérant. D’abord, rappeler que la liberté religieuse n’est pas un absolu intangible. Elle est soumise à la notion de «dignité» de l’être humain (pour les chrétiens, cette notion découle de l’affirmation biblique que Dieu a créé l’être humain, homme et femme, à son image). Si des pratiques comme la polygamie, la lapidation des adultères ou la mise à mort des apostats violent le principe de dignité et de liberté humaine telle que la Genèse 1-2 et les enseignements du Nouveau Testament nous permettent d’en comprendre le sens, cette manière de concevoir le mariage ou de punir les «pécheurs» ne peut pas être revendiquée chez nous au nom de la liberté de religion. En effet, même si notre droit ne reconnaît pas de filiation directe avec la révélation biblique, les notions bibliques de grâce, de pardon, de peines proportionnées et de respect pour l’être humain ont infusé dans la manière de pratiquer le droit dans les sociétés dites «chrétiennes». Cette «dignité» de l’être humain est donc une première limite à poser. 

Ensuite, il faut clairement tracer les frontières que l’islam doit respecter dans notre société en rappelant que son cadre conceptuel, que résume la triade «religion-droit-politique», diffère fondamentalement du nôtre. Dans les divers régimes politiques occidentaux, la religion, le droit et la politique ne constituent pas ensemble un monobloc mais forment trois entités indépendantes (en principe) en relations organiques les unes avec les autres. Ensemble et individuellement, elles participent de notre «état de droit». C’est à partir de ce cadre conceptuel – qui rend possible la liberté de religion, la liberté de pensée et la capacité d’une société à légiférer selon ses besoins – qu’il faut aborder les questions relatives au vivre ensemble posées par l’islam. Ce cadre de pensée devrait permettre d’établir le champ dans lequel les musulmans peuvent pratiquer leur foi sans pour autant entraîner l’émergence d’une société parallèle qui obéirait à d’autres lois contredisant frontalement nos principes. En d’autres termes, c’est aux musulmans de s’adapter à notre cadre conceptuel et non l’inverse.

Résister à l’islam politique

Ces propos mettent à mal la fiction selon laquelle toutes les religions sont d’égale valeur. En effet, même s’il n’existe aucune société parfaitement représentative de sa religion dominante, il est évident que toutes se sont développées sous son influence et que leur manière de traiter hommes et femmes n’est pas égale. 

Si la présente initiative procède de la volonté de résister à l’islam politique dont le voile et le niqab sont des symboles, il faut saisir cette occasion pour réaffirmer qu’il n’est pas possible de justifier par la religion un traitement dégradant de l’être humain (comme le fait le message misogyne attaché au port du voile et du niqab) et qu’une religion ne peut prétendre régir la vie sociale en se servant de sa puissance politique pour s’imposer. C’est ce que la Constitution devrait permettre de rappeler chaque fois que cela est nécessaire.Cela dit, reste à rappeler un point d’une extrême importance. En tant que citoyens d’un pays, nous pouvons prendre part au débat institutionnel visant à nous protéger d’influences que nous jugeons dangereuses. Mais en tant que disciples de Jésus-Christ, nous devons aussi nous souvenir que notre mission prioritaire consiste à vivre et manifester la réalité du Royaume de Dieu dans nos relations avec nos contemporains.

S’approcher dans le respect des croyances

Là où un État peut jouer de son autorité pour demander à ses administrés, quelle que soit leur religion, de se conformer à la loi commune, nous adoptons une attitude exactement inverse dans nos relations personnelles avec les musulmans. C’est à nous de nous «faire» à eux et de les approcher dans le respect de leur personne et de leurs croyances, afin qu’au moins quelques-uns puissent découvrir en nous et par nos paroles la vérité et la grâce que nous trouvons en Christ.

Aucun doute ne doit donc subsister dans nos esprits. Si nous sommes convaincus qu’il ne faut pas permettre à l’islam de se déployer comme force politique, en raison de dangers évidents, nous sommes tout aussi convaincus que Jésus nous envoie auprès des musulmans pour qu’ils puissent le rencontrer et aient la possibilité de lui confier leur vie.

Christian Bibollet, directeur de l’Institut pour les questions relatives à l’islam (IQRI)

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