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Shafique Keshavjee, entre les lignes de son testament philosophique

Shafique Keshavjee
© Shafique Keshavjee
Retraité depuis peu, le théologien suisse Shafique Keshavjee signe ce qu’il déclare être son testament politique et philosophique avec son dernier livre La Couronne et les virus - Et si Einstein avait raison? (éd. Saint-Augustin et HET-PRO). L’occasion de revenir sur l’œuvre de ce pasteur réformé féru de sciences sociales et de dialogue entre les religions. Portrait.
David Métreau

«Depuis tout petit je suis habité par un amour de la vérité, une soif de connaître. D’être dans la vérité, le vrai, le juste. Cette recherche de vérité m’a accompagné toute ma vie.» Shafique Keshavjee est né en 1955 au Kenya dans une famille indienne originaire du Gujarat et qui connaissait Gandhi. Avec des membres musulmans ismaéliens plus ou moins pratiquants, d’autres chrétiens ou encore hindous, dès l’enfance, il était clair pour le jeune Shafique Keshavjee que sa conviction principale n’allait pas dépendre de sa famille.

«La famille, ça reste aléatoire. La plupart des gens qui naissent dans une famille chrétienne sont chrétiens, ceux qui naissent dans une famille musulmane sont musulmans et ceux ayant un arrière-fond athée sont athées. Même si des changements existent.» Non, sa conviction n’allait pas dépendre d’un lieu géographique ou d’une appartenance locale.

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La découverte de Jésus en Inde

Même après avoir suivi le catéchisme - car ayant une belle-mère protestante - à son arrivée en Suisse à l’âge de sept ans, Shafique Keshavjee n’est pas convaincu. Il garde une soif de connaître les autres traditions religieuses. Cette soif l’amène à partir à dix-huit ans pour un tour du monde à la rencontre des gens. Dans son sac à dos: des livres issus de toutes sortes de croyances. Il pratique alors le yoga et visite tous les lieux saints qu’il croise sur son parcours. La découverte du Christ dans une communauté chrétienne méthodiste «très dynamique» à Bangalore dans le sud de l’Inde est un «retournement» pour le jeune homme. 

«En parallèle de la lecture du Nouveau Testament - parmi tous les autres ouvrages - la découverte d’une communauté chrétienne vivante était l’occasion pour moi de découvrir le Christ.» A partir de là naît en lui une conviction qu’il y a quelque chose de spécifique dans la personne de Christ. Mais ce n’était pas la fin du voyage. 

Des bases théologiques avec Francis Schaeffer

Après avoir acquis des bases théologiques et bibliques avec l’évangélique Francis Schaeffer, Shafique Keshavjee a décidé de confronter sa foi aux sciences humaines. «Je me suis inscrit en licence de sciences sociales et politiques avec cette idée: “Si la foi que je suis en train de vivre est une illusion, autant le découvrir maintenant.”»

Il confronte ainsi sa foi chrétienne naissante avec la psychanalyse et la critique marxiste. Malgré ces confrontations, il va quand même témoigner de sa foi chrétienne durant ses examens, qu’il réussit avec brio. Le chercheur de vérité se lance ensuite dans des études de théologie pour éprouver sa compréhension du Christ et de la Bible avec les critiques les plus radicales des milieux libéraux.  

Je me suis inscrit en licence de sciences sociales et politiques avec cette idée: “Si la foi que je suis en train de vivre est une illusion, autant le découvrir maintenant.”

Shafique Keshavjee

Par la suite, il poursuit son cursus avec une thèse d’étude comparée des religions sur Mircea Eliade. Devenu pasteur réformé, mais se définissant «d’abord chrétien» et toujours ouvert aux chrétiens des autres confessions, le théologien devient enseignant à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de ses cours naissent ses premiers livres: Le Roi, le Sage et le Bouffon (éd. Seuil) en 1998 puis La Princesse et le Prophète (éd. Seuil) en
2004. 

Une foi chrétienne vivante

Engagé dans les Groupes bibliques universitaires (GBU), le théologien se réjouit d’y avoir connu une grande pluralité avec des évangéliques, des charismatiques, des darbystes et des réformés: «Tout cela donnait quelque chose de stimulant. Une foi chrétienne vivante a toujours été fondamentale pour moi. Plus qu’une recherche abstraite, elle concerne les questions de vie et de mort.» Il déplore que certaines Eglises ne transmettent pas en premier lieu le Christ, mais des enjeux éthiques. «Elles perdent leur raison d’être.»

En outre, la connaissance des autres religions et le respect des autres croyants ne l’empêchent pas d’être témoin. «Si on découvre que Jésus est le Ressuscité, qu’il est “passé à travers toutes les impasses”, alors on va être témoin de ce Christ, on va aussi partager ce message à des personnes d’autres traditions religieuses ou à des athées.» Un témoignage parfois implicite comme dans son premier livre, où il met en dialogue un Juif, un chrétien, un musulman, un hindou, une bouddhiste et un athée - “sans les caricaturer” - et montre leurs richesses et leurs convergences. 

Quel avait été le témoignage des chrétiens chinois ?

Dans ce dernier livre, la foi chrétienne est notamment vue par le prisme culturel chinois et permet un dialogue Est/Ouest subtil et déconcertant. Si dans son dernier roman, La Couronne et les virus – Et si Einstein avait raison? (éd. Saint-Augustin et HET-PRO), Shafique Keshavjee a choisi un personnage féminin chinois de Mademoiselle Li (en dialogue épistolaire avec l’auteur), ce n’est donc pas par hasard. «Je voulais écrire mon testament politique et spirituel d’une certaine manière, sous forme d’aphorismes, de pensées sur toutes sortes de thèmes. J’étais en année sabbatique et il y a eu la pandémie. Elle est quand même partie de Chine, même si c’est peut-être un peu plus compliqué. Je suis très vite allé me renseigner sur la réponse des Eglises en Chine. Quel avait été leur témoignage? Comment les chrétiens avaient-ils essayé de transmettre l’Evangile dans tout ça?»

La genèse de l’ouvrage, c’est aussi un «vrai rêve» de l’auteur dans lequel un Chinois s’adressait à lui et lui disait: «Et Dieu dans tout ça?» Enfin, il était important aux yeux du jeune retraité que les pays occidentaux «se rappellent constamment que le centre de gravité de la foi chrétienne n’est plus en Occident mais en Afrique, en Amérique latine et en Asie». Mettre en dialogue la Chine et ses valeurs avec l’Occident est aussi pour le natif de Nairobi une façon de donner la parole à des chrétiens du Sud et de se décentrer. 

Et Dieu dans tout ça?

Shafique Keshavjee

Lanceur d’alerte sur un islam de conquête

Loin de l’irénisme de ses premiers ouvrages, l’essai L’islam conquérant (éd. Iqri) paru en 2019 a suscité la polémique. Pour le pasteur, la plupart des critiques virulentes venaient de personnes qui n’avaient pas lu le livre ou de milieux réformés libéraux qui estiment «qu’on n’a pas le droit de dire qu’il y a du diabolique dans certaines pratiques ni de mettre une religion au-dessus des autres». Cependant, Shafique Keshavjee l’assure, la réception positive a été largement plus grande. Il en tient pour preuve les demandes de traduction en allemand et en arabe. 

«Des responsables en Afrique ont demandé des milliers d’exemplaires parce qu’ils voient au quotidien cet islam conquérant qui se déploie. Ils apprécient que je mette en avant la très grande diversité dans la manière d’être musulman. Beaucoup de musulmans sont pacifiques en choisissant uniquement les textes les plus paisibles de l’islam, nombreux sont aussi les musulmans culturels. Mais je n’ai pas caché les textes sombres, les pratiques de conquête et comment des mouvements comme les Frères musulmans ou l’Organisation de la coopération islamique, les wahabites, les salafistes, prenant l’ensemble des sources musulmanes, utilisent les fragilités occidentales pour faire avancer leur cause.» Le pasteur estime que depuis la sortie de son livre, les événements lui donnent raison.   

L’humain, le divin et le diabolique

«Toutes les constructions religieuses sont humaines et sur l’humain se greffe du divin et du diabolique. Certains s’imaginent que le même divin s’exprime partout; non, c’est faux. D’autres s’imaginent que tout ce qui est en dehors du christianisme est diabolique et ils n’arrivent pas à reconnaître hors de leur foi des intuitions qui soient belles; c’est aussi faux», assure le professeur.

Il est possible, selon lui, de vivre des expériences positives et de sagesse en dehors de l’Eglise, car chaque être humain est créé à l’image de Dieu et peut avoir une intuition du divin. «Mais tout, dans les autres convictions, n’est pas divin et lumineux, car du diabolique peut aussi se manifester. Le discernement est compliqué car Satan se déguise aussi en ange de lumière. Le diable est beaucoup plus subtil que chacun d’entre nous. Nous avons besoin de l’Esprit Saint pour lui résister.» 

Une dimension diabolique existe dans les autres traditions religieuses, mais aussi dans les Eglises, estime Shafique Keshavjee. «On le voit bien dans l’histoire de l’Eglise: les destructions, les haines, les pasteurs qui manipulent des communautés, etc.» 

Triste de voir l’Evangile négligé en Occident

Marié à Mireille et père de quatre enfants, dont Simon décédé d’une leucémie à l’âge de treize ans, le conférencier révèle avoir la conviction d’un absolu, enraciné dans une vérité première: «Le Dieu Père, Fils et Saint Esprit. C’est ma clé de lecture pour comprendre le monde.» Il déplore que le trésor qu’est l’Evangile soit laminé dans les médias occidentaux, écarté des écoles, jeté aux oubliettes. «Il y a une tristesse profonde en moi, mais elle est compensée parce que je sais que Dieu est souverain.»

Le Dieu Père, Fils et Saint Esprit. C’est ma clé de lecture pour comprendre le monde.

Shafique Keshavjee

Et Shafique Keshavjee se veut optimiste: «“Il n’y a rien de plus beau que le Christ.” Cette parole de Fiodor Dostoïevski résume beaucoup de choses. Il y a la beauté de la personne du Christ, la Tête. Il y a la beauté du Corps du Christ, l’Eglise dans le monde, qui rayonne quand elle est fidèle. Quel trésor magnifique!» 

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Juillet- Août 2021

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