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«Ne laissez pas les médias écrire votre histoire»

Une journaliste portant un masque rapporte les dernières nouvelles devant un hôpital pendant une pandémie
© iStock
Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale sous François Mitterrand et Samuel Peterschmitt, pasteur de l’Eglise la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse ont subi la violence d’un déferlement médiatique, à plusieurs décennies d’écart. Leur foi les a soutenus. Conversation.
David Métreau

Au cœur de la déferlante médiatique qui a suivi les multiples infections au Covid à la Porte Ouverte de Mulhouse (PO), qu’est-ce qui a motivé votre échange et quelle était la teneur principale de votre message pour Samuel Peterschmitt?

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Georgina Dufoix (GD): Ce qui m’a motivée est le goût de la justice. Quand j’ai lu les déclarations de la personne en charge de la préfecture qui reprochait à la Porte Ouverte de ne pas avoir pris les bonnes mesures barrières alors qu’elle venait de recevoir, dans le même quartier de Mulhouse le Président de la République sans masque ni mesure barrière, j’ai pressenti que l’objectif était de leur faire porter le chapeau et que c’était une réelle injustice. Personne n’était conscient des mesures barrières ou de l’utilité des masques au début février 2020, pas plus la préfecture que la Porte Ouverte.

J’ai alors pensé que l’objectif était de tout leur mettre sur le dos comme ils l’avaient fait pour moi au moment du sang contaminé (en avril 1991 un article a été publié dans L’Evénement, prouvant que le CNTS a distribué des produits sanguins contaminés, ndlr). Tout va alors très vite. Les informateurs se renvoient les informations comme une sorte d’écho qui rebondirait de murs en murs et rares sont ceux qui cherchent la vérité des faits.

J’ai gardé en mémoire un exemple précis de ce qui m’avait marquée à l’époque. J’avais un document qui montrait que j’avais accéléré les décisions que l’on me reprochait. Nous devions témoigner Laurent Fabius, Edmond Hervé et moi. J’avais l’intention de montrer ce texte administratif au tribunal, pensant encore que les informateurs étaient de bonne foi.

La veille au soir, un de mes collaborateurs a eu un échange avec une de ses amies rédactrice en chef d’un journal pour lui faire part de l’existence du document. Elle a refusé de le publier ou d’en faire mention en disant: «Ce n’est pas possible. C’est tellement loin de ce que les gens pensent que je ne peux pas du tout en faire état.» Ce jour-là, j’ai compris que la justice cherche la vérité mais qu’un grand nombre de journalistes sont plus intéressés par les accusations très «vendeuses» que par la recherche des faits réels. Belle leçon!

L’accusation pour le sang contaminé a duré sept ans. C’est long, mais c’était le temps qu’il me fallait pour comprendre la présence de Jésus

Georgina Dufoix

L’accusation pour le sang contaminé a duré sept ans. C’est long, mais c’était probablement le temps qu’il me fallait pour comprendre combien la présence de Jésus est réelle et combien ses paroles sont des guides pour la vie quotidienne, réellement efficaces quand on les met en pratique.

C’est un chemin assez ardu mais magnifique aussi par certains côtés. Ce sont ces expériences que je souhaitais partager avec les frères et sœurs en Christ qui vivent les mêmes tourments, et dont je sais qu’ils ne travestiront pas la réalité des faits. Voilà pourquoi j’ai cherché à joindre Samuel et c’est à l’occasion de cette première conversation que j’ai prononcé cette phrase: «Ne les laissez pas écrire ce que vous avez vécu.»

Quelle a été votre réaction en entendant ce conseil?

Samuel Peterschmitt (SP):

J’étais surpris de voir Georgina Dufoix s’intéresser à notre situation.
Dans cette même période, certains chrétiens n’ont pas hésité à nous chercher des poux en expliquant le pourquoi du comment nous avions été atteints du Covid. C’était pour moi un baume. Je ne savais pas encore quelle serait la teneur de notre entretien, mais il est évident que nous n’étions absolument pas préparés à cette tempête médiatique. Nous avions déjà eu affaire aux médias dans le passé pour d’autres raisons mais là on avait jusqu’à cinquante appels de journalistes par jour. Nous n’avions même pas eu le temps de nous asseoir pour définir une stratégie. Si ce n’est que lorsque j’étais à l’hôpital -je pense que c’était déjà Dieu qui m’avait inspiré- j’avais demandé à ma fille Johanna d’avoir une équipe très réduite de communicants.

Nous avions en interne une discussion qui était tendue entre deux pôles: ceux qui disaient qu’il ne faut rien dire, «il faut laisser Dieu nous justifier», et puis de l’autre côté ceux qui affirmaient qu’il faudrait quand même répondre au minimum pour ne pas les laisser se faire une opinion par eux-mêmes. J’étais dans l’incertitude. C’est là que nous avons échangé.

Vous avez d’ailleurs tout de suite insisté sur le combat spirituel et sur le fait qu’il n’y avait pas là juste un problème d’information et un problème de focalisation médiatique mais une question spirituelle. Vous m’avez encouragé à avoir une équipe de prière, ce qui était déjà en route mais qui nous a d’autant plus encouragés et fortifiés. C’est là que vous m’avez dit cette phrase spécifique. Je ne pense pas que vous mesuriez l’effet qu’elle allait avoir sur moi. Je crois que c’est Dieu qui vous a amenée à me téléphoner.

GD: J’ai vu que Dieu parlait au travers de votre bouche et à partir de là j’ai pris une position très claire et arrêtée: il faut qu’ils continuent de répondre.

SP: C’était devenu international: c’était la BBC, le Washington Post, le Financial Times et même le Nasdaq! Après notre entretien, il était clair de mon côté qu’il fallait répondre systématiquement à tout le monde: avec du respect, en y mettant les formes bien sûr, en veillant à ne pas être agressif, quelle que soit la manière dont on nous traite, mais répondre clairement.

Quelle attitude pouvez-vous justement conseiller aux chrétiens qui subiraient ce genre de tempête?

GD: Les lames de fond sont monnaie courante aujourd’hui mais au moment où elles arrivent sur vous, la première réaction est la peur. Or la peur est mauvaise conseillère et encore plus néfaste que la lame de fond elle-même. Vivre avec les paroles de Jésus, c’est entendre: «N’ayez pas peur.» Se pose alors la question: comment faire pour ne pas avoir peur? Sur ce point-là, j’ai eu beaucoup d’occasions pour «mettre en pratique» les paroles de Jésus et j’ai vécu concrètement qu’il était possible de ne pas avoir peur, que cela dépendait d’un travail intérieur précis que la Bible nous indique. Tout d’abord, il s’agit de ne pas nier la peur: «Dieu veut des adorateurs en Esprit et en vérité.»

Mais la vérité, c’est que j’ai peur. Quelle est sa racine en moi? Qu’est ce qui me prive de la grâce de Dieu? Où est la racine d’amertume qui produit ce trouble (Hébreux 12-15)? Ceci demande une vraie exigence et une vraie précision. Ce n’est pas très facile car nous sommes alors dans les tréfonds sombres de notre cœur.

Quand on arrive sur le point douloureux, alors on peut le mettre au pied de la Croix et la merveille c’est qu’arrive alors le «repos pour nos âmes» (Mat. 11,28). Le cœur troublé, la peur n’est plus là.

La lame de fond est toujours là mais je peux faire face avec un cœur en paix. On est alors clair pour répondre, pour faire face. Si j’ai un conseil à proposer, c’est de ne pas vivre cela seul, car on ne va pas facilement dans les parties sombres de nous-mêmes. C’est là que l’Eglise a tout son sens!

SP: J’insiste sur le fait que lorsque vous êtes face aux journalistes il faut pouvoir dire la vérité mais sans être dans la naïveté. Il faut que la vérité soit dite de manière à ce qu’ils ne puissent pas ensuite la détourner. Il est évident que ce que vous allez dire avant, pendant et après est extrêmement important aussi.

Mon souci a toujours été de rester bienveillant. C’est-à-dire que je voulais que dans mon cœur, Dieu soit honoré: je ne suis pas en train de régler des comptes avec qui que ce soit. Je veux continuer à dire que oui nous avons été agressés, oui on nous a menacés mais oui nous pardonnons aussi! C’est une ligne directrice. J’ai fait cette expérience avec des journalistes que j’ai reçus plusieurs années avant le Covid.

J’avais toujours été dans la vérité et bienveillant avec eux et je me souviendrai d’un d’entre eux en particulier. C’était un journaliste qui travaillait pour l’émission «7 à 8» qui plus tard m’a appelé en me disant: «Samuel, vous n’imaginez pas à quel point TF1 a voulu me faire dire ce que je ne voulais pas dire. Ils m’ont fait venir dix fois devant leur commission juridique pour me faire dire que vous vous en mettez plein les poches.» Et il m’a dit:

«J’ai refusé parce que j’ai été avec vous pendant quatre jours, j’ai habité avec vous.» Je crois qu’il a ressenti que nous étions authentiques, vrais, et que nous ne jouions pas un rôle.

Propos recueillis par Iris Jaegle et David Métreau

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Avril 2021

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