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Les néo-charismatiques de la Maison Blanche

Donald Trump placé sous la protection de Dieu par des pasteurs évangéliques lors d'un rassemblement chrétien à Cleveland Heights en septembre 2016
© DR
Professeur titulaire au département d’études théologiques à l’université Concordia à Montréal, André Gagné est l’auteur du livre «Ces évangéliques derrière Trump» qui vient de paraître aux éditions Labor et Fides. Entretien.
Nicolas Fouquet
André Gagné, Professeur titulaire au département d’études théologiques à l’université Concordia à Montréal.

Pouvez-vous décrire les évangéliques dont il est question dans votre ouvrage?

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Dans mon livre, je m’intéresse à la frange évangélique que l’on appelle néo-charismatique ou néo- pentecôtiste. Cette branche provient de ce que certains appellent «la troisième vague de l’Esprit», apparue dans les années 1980. Ils accordent une importance particulière aux idées de combat spirituel et aux charismes (ou dons) de l’Esprit. Ces évangéliques ne sont pas les seuls à soutenir Donald Trump mais des dirigeants de cette mouvance sont particulièrement présents dans son entourage.

Quel poids électoral représentent ces néo- charismatiques aux Etats-Unis?

C’est difficile à dire. Quand on parle de néo-charismatiques, c’est une terminologie qui dépasse l’élément dénominationnel. On en retrouve dans différentes unions évangéliques. Aux Etats-Unis, on es- time qu’il y a à peu près 95 millions d’évangéliques, toutes branches confondues. Parmi eux, environ 60 millions émanent de cette mouvance néo-charismatique. En matière de statistique électorale, il y a un chiffre qui dépasse les seuls néo- charismatiques mais qui a été beau- coup commenté. En 2016, le Pew Research Center avançait que 81% des évangéliques blancs dits «nés de nouveau» avaient voté Donald Trump lors de l’élection présidentielle. Les sondages ne fournissent pas d’éléments plus précis.

Qu’est-ce que le dominionisme, cette idéologie à laquelle ils se rattachent?

Il s’agit d’une théologie politique du pouvoir qui remonte à la pensée de Rousas Rushdoony, un presbytérien calviniste, dans les années 1970. Il disait qu’il fallait reconstruire la société américaine sur des bases judéo- chrétiennes. Cette idéologie se base sur une lecture très particulière de Genèse 1,26-28 où Dieu ordonne à l’humanité d’être féconde, de dominer la terre et de la soumettre à son autorité. Dans leur conception, l’autorité était jadis donnée à l’humanité mais elle a été perdue suite à la Chute. Désormais, ce sont les croyants qui ont cette responsabilité de dominer le monde.

Par la suite, certains penseurs ont développé une stratégie dite des «sept montagnes de la culture». Le but est d’influencer sept domaines essentiels (politique, éducation, économie, famille, médias, arts, religion) en y positionnant des croyants à des postes clés. Ils veulent faire ad-venir le Royaume de Dieu sur terre!

Dans cette frange, il y a un soutien indéfectible à Donald Trump

André Gagné

Qui sont les responsables de ce mouvement néo-charismatique?

Ils sont proches du pouvoir et ont un incroyable réseau d’Eglises, d’organismes para-ecclésiaux… Dans mon livre, je me focalise beaucoup sur Paula White-Cain, qui est la conseillère spirituelle de la Maison Blanche. Elle a été une figure extrêmement importante, même avant l’élection de 2016. On ne sait pas très bien où situer exactement l’actuel vice-président américain, Mike Pence, mais il adhère à beaucoup de ces convictions. C’est la même chose pour le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, qui a fait part de son adhésion à certaines croyances eschatologiques des néo-charismatiques.

Quel regard portent-ils sur Donald Trump?

Dans cette frange, il y a un soutien indéfectible à Donald Trump. Ils voient en lui la solution pour l’Amérique. Ils ont construit le mythe du nouveau Cyrus. Malgré ses imperfections, Cyrus a été un instrument entre les mains de Dieu pour libérer le Peuple juif. Donald Trump est celui qui aidera l’Eglise à rétablir l’Amérique sur ce que les néo-charismatiques considèrent être les bases judéo-chrétiennes. Après, il est intéressant de noter des divergences de positionnement. Certains ne se font pas d’illusion sur la moralité de Donald Trump mais comprennent qu’il est un instrument placé à un moment stratégique. Ils avouent néanmoins qu’ils préfèreraient qu’il arrête de tweeter ou d’être grossier. D’autres, comme Paula White-Cain qui connaît Donald Trump depuis vingt ans, vont mettre en avant une sensibilité spirituelle. Elle va dire que Donald Trump lui demande souvent de prier ou qu’il la sollicite pour des conseils. Elle s’est même créditée de le conduire au Seigneur.

Votre ouvrage est aussi l’occasion de faire passer quelques messages…

Je fais notamment des recommandations aux journalistes. C’est important de ne pas caractériser ces gens de façon erronée. Il faut faire attention à ne pas prêter aux néo-charismatiques des intentions qui ne sont pas les leurs. Il faut être le plus nuancé possible.

Tous les néo-charismatiques n’adhérent pas forcément à la vision des sept montagnes de la culture par exemple. On parle surtout de certains dirigeants clés. Il faut s’informer et prendre du recul. J’invite aussi les responsables évangéliques qui ne se reconnaissent pas là-dedans à dénoncer cette théologie politique. Elle est préjudiciable dans le cadre de nos sociétés pluralistes.

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui octobre 2020

Dossier: Elections Etats-Unis 2020
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