Le recul des libertés, symptôme d’un virus sociétal
Dans plus de deux tiers des pays du monde, les libertés ont reculé au cours de l’année 2020, à cause des mesures prises pour lutter contre la pandémie: états d’urgence, confinements et couvre-feux, fermeture des frontières et autres limitations de circulation. C’est tout sauf un scoop. Seulement, cette suppression des libertés individuelles, confirmée par de nombreuses études dont celles récentes de The Economist et de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (Idea) basé en Suède, touche aussi les «démocraties avancées». Elle inquiète de nombreux responsables chrétiens.
Le droit écrase le devoir
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Parmi eux, le pasteur évangélique suisse Norbert Valley met en lien «l’affaiblissement de la démocratie» avec «l’abandon de la foi» et «l’hyper-individualisme», qui réclame toujours plus de droits au détriment des devoirs. Il analyse la montée des régimes autocratiques dans le monde comme «un aveu de faiblesse de la part du peuple qui idolâtre un être humain pour se rassurer». Mais face au recul des libertés individuelles qu’il observe depuis au moins une décennie, l’ancien président du Réseau évangélique suisse déplore l’inaction des Nations Unies. «J’ai l’impression que nous sommes dans une situation similaire à celle de son ancêtre, la Société des Nations avant la Deuxième Guerre mondiale et cela m’inquiète.»
La dégradation des libertés est multifactorielle et précède la pandémie, souligne également le socio-économiste Eric Lemaître. «C’est une tendance de fond. Elle rejoint l’aspiration de la population à davantage de sécurité - notamment sanitaire - mais aussi pour une réponse à différentes formes d’extrémismes comme le terrorisme islamique dans nos pays occidentaux.» La pandémie viendrait selon lui renforcer «ce sentiment - et cette réalité - que nous sommes en train de vivre une réduction de nos libertés».
Perte de confiance générale
43% des Etats démocratiques - dont le Sri Lanka, l’Argentine, le Mexique, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie - ont mis en place des mesures restrictives de libertés injustifiées depuis le début de l’épidémie, pointait Idea dans son rapport publié en décembre. L’institut note un recul sans précédent de la qualité de la démocratie depuis les années 70. La gestion de la pandémie et de ses conséquences a un impact direct sur la liberté des citoyens.
«On peut dans certains cas accepter des restrictions de libertés pour le bien commun et non pour satisfaire l’autorité», indique Norbert Valley. Le pasteur FREE est conscient des dangers du virus: «J’ai fait l’ensevelissement d’un homme de 56 ans mort du Coronavirus.» Il regrette cependant que les autorités en Suisse comme en France aient beaucoup agité la peur dans la pandémie au détriment de la responsabilité. Il y a selon lui une perte de confiance du peuple vis-à-vis des dirigeants, mais aussi des dirigeants vis-à-vis du peuple. «Si les gens qui vivent dans une démocratie sont conscients de leurs devoirs envers les autres et ne sont pas égoïstes, la démocratie fonctionne. Le problème c’est qu’elle est devenue l’expression de l’individualisme qui ne sait plus reconnaître le bien commun.»
Une précaution qui s’universalise
Avec la pandémie, les esprits sont conditionnés à éviter cette relation à l’autre, souligne Eric Lemaître. «On vit sous le coup de la peur et de l’appréhension. La rencontre de l’autre est perçue comme un danger. Autrui devient suspect sur le plan de notre spontanéité.» Dans cet univers hygiéniste, la précaution n’est pas que sanitaire.
«Aujourd’hui il faut aussi être précautionneux à l’excès dans la façon d’exprimer les choses. Il faut être attentif à ce que son discours ne sorte pas du cadre, au risque de blesser et de s’attirer les foudres des offensés», précise celui qui est aussi pasteur de la Fédération des Eglises du Plein Evangile en francophonie (FEPEF). «Il y a une forme de silence imposé. Les chrétiens avaient auparavant la liberté de dénoncer le péché, quel qu’il fût. Aujourd’hui ils font très attention. Dire par exemple que l’homosexualité est un péché est devenu risqué. On voit bien qu’on est sur une lame de fond.» Il ajoute: «Plus on efface la dimension de transcendance et les références au Christianisme, plus on perd en liberté fondamentale.»
Défense de la liberté de conscience
Eric Lemaitre et Norbert Valley insistent tous deux sur la défense de la liberté de conscience. «C’est une notion très chère et très largement promue par le christianisme», précise le premier cité. Le second, poursuivi par la justice puis finalement acquitté après un long feuilleton judiciaire pour avoir aidé un sans-papier, exhorte: «Pour moi c’est évident qu’il y a d’abord le commandement d’amour. Si la loi m’oblige et m’interdit de prendre soin, la loi est mauvaise et il faut la combattre.» A la manière de Dietrich Bonhoeffer face au nazisme ou des Apôtres face à César.
PS : La rédaction a appris avec tristesse le décès d’Eric Lemaitre, mi-avril, à l’âge de 62 ans, quelques jours après le bouclage de cette édition. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mai 2021
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