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Le cash, prochaine victime planifiée et collatérale du Covid

La crise sanitaire nous pousse à revenir sur ce sujet traité en début d’année: Norbert Häring (photo en médaillon), économiste et journaliste allemand, craint qu’elle soit invoquée pour obtenir l’abolition de la monnaie physique. Entretien.
David Métreau

Depuis le début de la crise, un Français sur dix a été confronté à un refus de paiement en espèces. En Suisse, les pièces et les billets sont jugés comme un vecteur potentiel de transmission du virus. Votre analyse?
La pandémie est une occasion de plus pour la grande alliance des gouvernements, des sociétés informatiques et des institutions financières, afin de faire reculer l’utilisation de l’argent liquide, sur laquelle ils travaillent depuis une dizaine d’années. Ils ne laissent pas passer une telle occasion.

«Il n’y aura pas de retour en arrière», a-t-on pu lire dans plus d’un média. Pourquoi ce processus?
L’alliance publique-privée anti-espèces est puissante! Faites une recherche avec «Better Than Cash Alliance» et vous trouverez tous les acteurs: un consortium qui rassemble les grandes entreprises de système de paiement, de grandes marques, la fondation Bill et Melinda Gates, des ONG, des agences onusiennes et même des gouvernements: Inde, Sénégal et Mexique, entre autres. Ils ont passé un accord avec les institutions internationales pour garantir que celles-ci établiront des normes pour le secteur financier qui soient hostiles aux espèces.
Le FMI a publié un document de travail recommandant toute une série de mesures fonctionnant indirectement contre l’utilisation de l’argent liquide. Cette publication, La macroéconomie du de-cashing, est à l’usage des gouvernements, s’ils veulent secrètement faire reculer l’usage du cash sans en informer leurs citoyens. Tout cela se fait en arrière-plan, rendant l’argent plus cher, plus incommode et plus suspicieux.

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La fin de l’argent liquide peut-elle régler les problèmes de travail non déclaré, d’évasion fiscale et de terrorisme, comme l’évoquent ses partisans?
Bien sûr que non! L’argent liquide n’est pas pratique pour des sommes importantes, de sorte que l’évasion fiscale à grande échelle et le blanchiment d’argent se pratiquent déjà par voie électronique aujourd’hui. Vous ne pouvez pas non plus empêcher quiconque de foncer au volant d’un camion dans une foule en supprimant l’argent. Certes, vous pourrez peut-être en apprendre un peu plus à leur sujet par la suite. Mais honnêtement, presque toutes les atrocités de ces dernières années ont été commises par des personnes qui étaient déjà sous surveillance. Tout ce que vous pouvez faire en supprimant l’argent liquide, c’est rendre la petite évasion fiscale et le trafic de drogue un peu plus difficiles. Ce n’est donc pas un argument solide. Lever toute protection de la vie privée et mettre en place une surveillance totale serait un moyen extrême de lutter contre la petite criminalité.

A l’inverse, quels sont les avantages de l’argent liquide?
La protection de la vie privée, l’autonomie, un meilleur contrôle des dépenses, un coût moindre pour les utilisateurs et l’intégration financière, voilà les principaux arguments.
Sans argent liquide, vos informations bancaires centralisées deviendraient un véritable journal complet de votre vie, avec tous les renseignements sur où vous étiez et ce que vous avez fait à n’importe quel jour dans les dernières décennies. C’est la durée de conservation de l’information financière. Et elle est continuellement scrutée et analysée.
Vous ne seriez pas non plus en mesure de payer quoi que ce soit vous-même; vous seriez totalement dépendant des intermédiaires, eux-mêmes dépendants du gouvernement américain. Si ce dernier décide que telle institution financière ne devrait plus traiter les paiements pour tel individu, telle entreprise ou tel gouvernement étranger, l’institution financière en question se conformera. Vous ne pourriez plus sortir votre argent du système bancaire et seriez totalement exposé à des taux d’intérêt négatifs ou à une expropriation partielle, si le système bancaire connaît des problèmes.

La monnaie physique aurait donc une nature ou un effet protecteur face aux dérives?
Oui et je vous donne un autre exemple: les sociétés de conseil disent aux institutions financières et aux vendeurs de biens d’encourager les paiements numériques, parce que les gens dépensent davantage s’ils ne voient pas l’argent disparaître.
Ainsi, le surendettement deviendrait un problème plus important sans argent liquide. L’utilisation de l’argent comptant est gratuite pour les clients. Et enfin, c’est inclusif. Vous n’avez pas besoin d’un appareil coûteux, d’un compte bancaire ou de compétences particulières pour utiliser de l’argent comptant. Ainsi, il est cynique que l’Alliance «Better Than Cash» et leurs alliés du «Partenariat mondial pour l’inclusion financière» récupèrent ce terme «inclusif» à leur profit. Ce n’est qu’un euphémisme pour désigner l’abolition de l’argent liquide.

Au-delà des arguments sanitaires, quel est l’intérêt d’interdire l’argent liquide et de passer uniquement aux transactions de monnaie électronique?
Les avantages du cash pour les citoyens sont des inconvénients pour les gouvernements, lesquels visent le contrôle et la surveillance des mêmes citoyens et pour les sociétés informatiques et financières qui convoitent notre argent et nos données.

Vous faites une lecture très critique de ce projet. Soyons clair: vous craignez qu’il soit totalitaire?
La peur est un sentiment désagréable, je ne voudrais effrayer personne. Mais nous devrions certainement lutter avec tous nos moyens contre cette dérive.
Le sous-titre de mon dernier livre [Schönes neues Geld, aux éd. ABOD ndlr] est «Une monnaie mondiale totalitaire en devenir». J’ai décrit cette tendance avec un hypothétique Dollar-Amazon qui s’imposerait partout dans le monde entier. Si c’est le cas de la monnaie Libra de Facebook, ce serait tout aussi mauvais voire pire.
La numérisation des paiements et de l’ensemble de l’économie, combinée au pouvoir monopolistique des grandes entreprises informatiques américaines est une recette pour une monnaie américaine hégémonique sur le monde, ou du moins sur la partie non chinoise du monde. Cela signifierait que le contrôle et l’information seraient encore plus accaparés par le gouvernement américain et les entreprises américaines dominantes. 

Propos recueillis par David Métreau

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui juillet-août 2020

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