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Trop d’abus spirituels chez les évangéliques !

Image symbole : une meute de loups dans une forêt canadienne
© iStock
Les abus spirituels et physiques au sein de l’Eglise et mouvements évangéliques ne sont pas rares: certains cas sont malgré eux propulsés sur le devant de la scène. Ils mettent en lumière un système de hiérarchie problématique. Analyse
David Métreau

E n Afrique du Sud, la mission évangélique Kwasizabantu (KSB), très connue dans le pays et présente en Europe, notamment en France et en Suisse, fait l’objet d’une enquête policière après des allégations d’abus de grande ampleur révélés cet automne.

A une autre échelle, depuis ce printemps, un collectif rassemblant plus d’une trentaine d’anciens étudiants, professeurs et bénévoles de l’Institut francophone de théologie de Jérusalem (IFTJ) alerte sur des dysfonctionnements graves et répétés au sein de l’institut biblique évangélique.

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Finalement, moins alarmant mais tout aussi révélateur, un des fondateurs du mouvement Europe shall be saved a quitté l’aventure après avoir vécu un «abus d’autorité». Le milieu évangélique est aussi confronté à des abus d’autorité pouvant entraîner des situations graves, extrêmement préoccupantes et dévastatrices pour les victimes: trois cas de figures récents qui amènent à réfléchir.

Mission Kwasizabantu

Installée au cœur de la Drôme des collines, l’école protestante du Cèdre a tout pour être un cadre idyllique pour étudier: bâtiments flambant neufs, professeurs dévoués, faibles effectifs par classe, uniformes proprets et terrains de sport au milieu de la forêt. Véritable vitrine de la mission Kwasizabantu, l’école privée hors contrat jouit d’une excellente réputation dans la région. Le mouvement fondé en 1970 en Afrique du Sud par Erlo Stegen a fait des émules en France (en région parisienne, en Alsace et dans le Sud-Est), mais aussi en Allemagne, en Roumanie, et en Suisse.

La famille Läderach, propriétaire de la chocolaterie du même nom à Ennenda, dans le canton de Glaris en Suisse, a notamment fait partie des chevilles ouvrières de KSB en terres helvétiques.

Aujourd’hui, le mouvement est plus divisé que jamais. Une scission s’est faite entre les membres restés fidèles à la base en Afrique du Sud et les missions Kwasizabantu aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Suisse et en Australie, indépendantes depuis 2019. Elles dénonçaient le contrôle abusif des dirigeants et l’opacité financière.

Depuis l’automne, la branche mère de la mission fait l’objet d’un contrôle minutieux de la part des autorités après la longue enquête de News24. Le média sud-africain allègue une inconduite généralisée de la part de membres de l’Eglise dont des atteintes aux droits de l’homme tels que des viols et des passages à tabac. KSB est également accusée d’agir comme une secte. On lui reproche notamment d’avoir fait subir des «test de virginité» à des jeunes filles, rapporte Deutsche Welle.

En Europe…

En Europe aussi, ce même mouvement a fait des dégâts, dénoncent d’anciens membres sous couvert d’anonymat. Ils décrivent une organisation légaliste, soucieuse des apparences et qui contrôle ses membres via la peur et la confession de toute pensée critique ou négative à des «conseillers spirituels» qui en informent la hiérarchie. Des cas d’abus sexuels impliquant des mineurs auraient même été couverts, selon plusieurs sources. Les responsables, informés auraient enjoint les victimes à pardonner à leurs agresseurs.

De nombreux mariages ont été arrangés au sein de la communauté, à coup de «Dieu m’a dit que je devais me marier avec toi». Ou te marier avec lui/elle. Aujourd’hui âgé de 85 ans, Erlo Stegen a exercé et exerce potentiellement encore un pouvoir absolu sur ses adeptes. «Qui est du côté du Seigneur?», a-t-il l’habitude de demander dès qu’une critique germe. Une manière de mettre ainsi fin à tout compromis et toutes discussions. Un tel abus d’autorité dans un contexte spirituel peut sembler caricatural.

En Israël…

En ce qui concerne le cas de l’Institut francophone de théologie de Jérusalem et son directeur, les faits reprochés à Jacques Elbaz ne sont pas comparables aux allégations à l’encontre de KSB. Néanmoins, le Parquet de Paris a ouvert une enquête pour «abus de faiblesse». La Miviludes avait saisi le Parquet en juillet. L’enquête a été confiée à l’office central pour la répression des violences aux personnes, révèle l’hebdomadaire Réforme qui a publié plusieurs articles sur le sujet.

Si entre KSB et l’IFTJ l’échelle et les conséquences sont différentes, les membres du collectif dénoncent une même «instrumentalisation de la foi», une volonté de contrôle total et abusif et l’usage de menaces voire de violence physique. Plusieurs anciens étudiants, professeurs et bénévoles contactés par Christianisme Aujourd’hui applaudissent l’institution mais réprouvent les agissements du pasteur ADD Jacques Elbaz, «indignes d’une institution académique».

«Soit on est du côté du directeur et on obéit au doigt et à l’œil; soit on est suspect, rebelle», décrit David, ancien professeur. «Un système de contrôle est mis en place avec des personnes référentes qui vont surveiller et faire remonter des informations sur les autres étudiants. Celui qui ne va pas rapporter les choses est alors pris dans le collimateur et isolé», poursuit celui qui est pasteur. «Pour nuire, le directeur de l’IFTJ peut aller jusqu’à imposer d’écrire de faux témoignages», assure David. Les membres du collectif, dont la plupart ne se connaissaient pas avant, dénoncent par ailleurs les menaces régulières d’annulation de visa et de non validation du diplôme pour qui refuserait de se plier à l’autorité suprême de Jacques Elbaz.

Violent, mais pas gourou

Ancien étudiant devenu pasteur Pierre (prénom d’emprunt) décrit Jacques Elbaz comme un homme de conviction qui agit dans un pays très difficile, mais «qui a fait des dégâts et brisé des vies». Pour lui, le natif de Marseille connu pour son franc-parler est un «excellent manipulateur doté d’un très fort charisme, mais loin d’être un artisan de paix.» Il poursuit: «C’est un homme dans une extrême souffrance qui a des dérives et qui peut être extrêmement violent. Mais ce n’est pas un gourou», estime-t-il. Il déplore un rapport ambigu à l’argent. Un brin désabusé, Pierre attend que les autorités ecclésiales prennent leurs responsabilités. «S’il est établi que certains des actes de Jacques Elbaz, en tant que directeur de l’IFTJ, ne sont pas en adéquation avec nos valeurs, nous prendrons les mesures qui s’imposent» a indiqué le bureau national des ADD, dans un communiqué fin août.

Bien que le pasteur franco-israëlien soit titulaire d’une carte pastorale de l’UNADF (Union nationale des Assemblées de Dieu de France) «les Eglises et l’IFTJ dont le pasteur Jacques Elbaz s’occupe en Israël n’en sont pas membres: ce sont des structures indépendantes de notre organisation qui ne relèvent pas de notre supervision», précise le communiqué.

La redevabilité

«J’ai vécu un abus d’autorité qui a duré plus d’un an. Je suis en convalescence», révèle pour sa part Christian Kuhn, directeur du RES. Ces abus subis l’ont poussé à quitter la direction du mouvement œcuménique d’évangélisation Europe shall be saved. Pour ne pas tomber lui-même dans une dérive autoritaire ou abusive, Christian Kuhn a depuis plusieurs années décidé de donner un droit de regard son comportement à une quinzaine de personnes.

«Les gens qui ont un charisme dominant sont souvent seuls, ils font le vide autour d’eux. Il faut de la redevabilité, mais une saine redevabilité qui ne soit pas l’expression d’une maîtrise», encourage-t-il. Tout le contraire des «conseillers spirituels» et systèmes de surveillance qui font remonter les faits et gestes des uns et des autres à la hiérarchie.

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui novembre 2020

Dossier: Abus spirituels

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