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Mourir doit-il attendre?

© GettyImages
Le suicide assisté est une procédure médicale au centre de nombreux débats. A l’heure où il pourrait devenir une réalité, peut-on vraiment prendre la liberté de se donner volontairement la mort? Parti pris.
Holger Wetjen

En France, une ébauche de projet de loi envisage un droit à l’assistance au suicide, soit la possibilité de demander la prescription d’un produit létal, au terme d’une procédure encadrée par des professionnels de la santé. La maîtrise de la mort, ultime liberté?

Un problème éthique et théologique

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La nouvelle loi, qui élargit la responsabilité des médecins, actualise ainsi la question théologique du libre-arbitre: la demande exprimée par la personne qui veut mettre fin à ses jours est-elle absolue et finale? La maîtrise de la mort, est-ce une ultime liberté qui peut impliquer le personnel soignant sans encourir de risque éthique? Le 28 mars dernier, la Commission d’éthique protestante évangélique (CEPE) s’est prononcée dans le contexte de la parution, en automne 2022, de l’avis du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), favorable à «l’aide active à mourir».

La CEPE s’est prononcée ainsi, dans un article intitulé «Choisir de mettre fin à sa vie avec le secours de la médecine et l’aval de la loi?», publié le 28 mars: «La foi évangélique nous invite, plutôt que de se lancer dans une quête angoissée d’un contrôle sur notre vie et notre mort, à un abandon confiant au Christ dans la vie comme dans la mort. L’éthique évangélique nous rappelle aussi de porter une attention particulière aux faibles et à rappeler aux forts leur responsabilité de ne pas user de leur pouvoir pour dominer mais pour servir.

La foi évangélique refusera donc aussi bien l’obstination déraisonnable d’un activisme médical qui ne serait plus au service de l’humain que l’activisme d’un contrôle sur la mort par l’euthanasie. En effet, toute demande de mettre fin à ses jours est ambivalente et doit être d’abord entendue comme un appel au secours. Il est extrêmement difficile de déterminer dans quelle mesure cette demande est vraiment ce que la personne veut et si elle est destinée à durer. Nombreux sont les cas où une attention affectueuse et un accompagnement de la personne dans ses différents besoins physiologiques les plus intimes et élémentaires, mais aussi sociaux, familiaux et spirituels, ont abouti à un apaisement réel et ainsi à la fin de la demande. Ainsi, seuls 3% des personnes bien prises en charge maintiennent leur demande d’euthanasie.»

Des préoccupations partagées au-delà des cercles chrétiens

Cette vision de l’être humain est partagée par Faroudja Hocini, psychiatre-psychanalyste et médecin aux urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, enseignante et chercheuse en psychopathologie à l’Université Paris-Cité, ainsi que Bruno Dallaporta, médecin à la fondation Santé des étudiants de France et docteur en éthique médicale et philosophie appliquée à la santé. Dans un article de La Croix intitulé «Où en est le projet de loi sur la fin de vie?» et publié le 12 septembre, ils s’interrogent: «Que veut dire la psychanalyse au fond? Elle dit nos opacités, nos incertitudes, notre intranquillité, notre vaine passion à vouloir saisir le sujet: le sujet n’est pas une totalité circonscrite mais un infini. Si l’individu égologique peut réclamer la mort ou pousser la seringue fatale, le sujet humain le peut-il?»

Jean-Marie Sauvé, haut fonctionnaire, affirme dans une tribune du Monde que «la société ne peut être considérée comme la seule coexistence de libertés individuelles, qui n’imposeraient à chacun aucune obligation vis-à-vis des autres. Le courant en faveur d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté qui se réclame du droit à l’autonomie de l’individu, mis en exergue en 2020 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande, méconnaît cette dimension essentielle. Il revendique la maîtrise de la mort par l’individu, présentée comme l’ultime liberté. La vulnérabilité, le handicap, la maladie, la vieillesse, la dépendance font partie de l’existence et sont refoulés dans cette vision du monde. Le soin et la sollicitude n’y trouvent pas leur place.»

Un danger d’abandon des patients et des soignants

Jean-Marie Sauvé cite ensuite le professeur Didier Sicard, qui indiquait déjà en 2012 que les contraintes économiques croissantes peuvent susciter un sentiment de culpabilité chez les personnes en perte d’autonomie. Cela peut ainsi les conduire à formuler une demande d’euthanasie. Jean-Marie Sauvé estime que «la perception d’être une charge explique 53% des cas de recours au suicide assisté en Oregon (Etats-Unis) en 2021 et 36% des cas d’euthanasie au Canada».

Réfractaires au projet du gouvernement d’ouvrir un droit à une aide active à mourir – l’assistance au suicide ou l’euthanasie –, une douzaine de sociétés savantes veulent limiter l’implication des médecins dans sa mise en œuvre, rapporte Le Monde. Les soignants de ce collectif dénoncent les effets dangereux du texte de loi pour leur pratique médicale: «Les soins palliatifs sont nés en France du refus de l’euthanasie et de la volonté de trouver une prise en charge des patients qui ne soit ni l’acharnement, ni l’abandon, ni l’administration d’un cocktail lytique pour tuer en toute fin de vie. A partir du moment où un patient pourra faire valoir un droit à demander à mourir, cela risque de dispenser les soignants de faire preuve de toute la créativité nécessaire pour soulager leurs douleurs et pour les accompagner jusqu’au bout», explique Ségolène Perrucchio, médecin et vice-présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), dans l’article «Fin de vie: débat sur la traduction juridique d’un droit à l’aide active à mourir», dans Le Monde du 26 juillet.

Des limites à notre liberté

Dans Deutéronome 30, Moïse transmet ce commandement de Dieu au peuple d’Israël: «Je place devant vous la vie et la bénédiction d’une part, la mort et la malédiction d’autre part. Choisissez donc la vie, afin que vous puissiez vivre, vous et vos descendants. Aimez le Seigneur votre Dieu, obéissez-lui, restez-lui fidèlement attachés.»

On peut comprendre que la liberté du chrétien consiste à accepter que l’homme n’est ni omniscient, ni tout-puissant. Le livre de Job, par exemple, présente un anti-héros qui, atteint d’une maladie de la peau des pieds à la tête, exprime son désir de mourir, mais qui ne maintient pas sa demande: Job 3, 11-19 évoque la mort comme une délivrance, et non plus comme l’issue naturelle de l’existence. Au chapitre 7, cette pensée se radicalise: «La vie est rude pour les hommes sur la terre: ils ont la condition d’un travailleur de force, d’un esclave au soleil, qui voudrait un peu d’ombre, ou d’un pauvre ouvrier, qui attend qu’on le paie.»

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Novembre 2023

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