Le secret bancaire vacille sur ses bases

D’autres voies que le secret bancaire sont envisageables
À force de ne pas avoir voulu rendre plus honnête le secret bancaire, la Suisse s’est retrouvée dans une fâcheuse posture: mise sous pression par les Etats-Unis, la France et l’Allemagne, elle a été obligée de faire des concessions.
Au sens premier, le secret bancaire désigne l’obligation de confidentialité du banquier concernant ses clients, pour des raisons touchant à la protection de la vie privée. Mais il est devenu en Suisse une excuse pour faciliter la vie à ceux qui ne veulent pas payer d’impôts: la distinction juridique entre fraude fiscale (avoir falsifié une déclaration) et évasion fiscale (ne pas avoir déclaré ses avoirs) y a créé des conditions attractives pour déposer des avoirs non déclarés, considérés comme une évasion fiscale. En effet, si la fraude fiscale était passible de poursuites pénales, l’évasion fiscale était seulement soumise à des poursuites administratives.
Moralement, cette distinction ne tient pas debout. En 2005, Heiner Studer avait déjà déposé une motion au Conseil National demandant son abolition. Elle avait été refusée. Le Conseiller National Ruedi Aeschbacher (PEV) est revenu à la charge le 3 mars dernier, en déposant une interpellation urgente pour «permettre une entraide judiciaire en cas de délits fiscaux, non seulement lors de fraude fiscale, mais aussi lors d’évasion fiscale». Cette différence artificielle «est en totale contradiction avec nos valeurs de base. Nous ne voulons pas être un pays qui aide les riches à tromper leur fisc». La fin de la distinction entre évasion et fraude fiscale, l’ouverture de la Suisse à coopérer avec les demandes des Etats tiers constitue un premier pas dans cette direction et mérite d’être saluée.
Mais plus globalement, l’évasion fiscale est un désastre pour les pays du Tiers-Monde, puisqu’elle les prive de revenus vitaux pour leur développement. Réformer le secret bancaire est une question de justice. C’est aussi une manière de briser la puissance de l’argent avec laquelle la Suisse entretient depuis trop longtemps un copinage malsain aux conséquences spirituelles, morales et éthiques énormes.
D’autres voies que la fin du secret bancaire seraient envisageables, par exemple de rendre obligatoire l’imposition des avoirs bancaires, aux taux en vigueur dans le pays de domicile des clients. Les recettes seraient transmises anonymement par la banque directement aux pays concernés. L’évasion fiscale deviendrait impossible, mais pas le secret bancaire, ni la discrétion, la fiabilité et le sérieux qui ont fait la réputation de nos banques.
Steve Tanner, Parti évangélique suisse
Un recul des libertés individuelles
Pour éviter une plainte pénale qui aurait pu entraîner son effondrement et de grands dommages pour l’économie suisse, l’UBS a été contrainte, au mépris du secret bancaire, de communiquer aux Etats-Unis les noms de près de 300 de ses clients américains suspectés de fraude ou d’évasion fiscale. Cet épisode a suscité de véhémentes attaques contre le secret bancaire et relancé le débat sur son bien-fondé.
Mi-mars, le gouvernement suisse a également cédé, sous la contrainte. Même si le Conseil fédéral a précisé qu’il refusait l’échange automatique d’informations, les standards internationaux obligeront la Suisse à transmettre des renseignements «vraisemblablement pertinents». Mais qui déterminera ce qui l’est? De telles concessions pourraient être une étape vers l’abolition du secret bancaire.
Du point de vue de la philosophie politique chrétienne, voici ce qu’on peut dire: le secret bancaire favorise la tricherie. De prime abord, l’éthique chrétienne permet dès lors de le stigmatiser. On se souviendra toutefois qu’en Suisse, il n’est pas absolu et qu’il est de surcroît assorti d’une retenue à la source qui atténue l’évasion jusqu’à la rendre inutile. Ce mécanisme existe déjà, même pour les ressortissants européens qui déposent des fonds en Suisse.
Il y a plus. Abroger le secret bancaire entraînerait une transparence très préjudiciable à la protection de la sphère privée et à la pérennité des libertés individuelles.
Un passage capital du texte fondateur du judéo-christianisme révèle cette parole de Dieu à Moïse: «Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre» (Ex. 33,20). Pour permettre la survie de l’homme dans sa condition humaine d’être déchu mais aimé, Dieu a choisi de s’incarner et de mettre une forme de distance transitoire entre lui et ses créatures. Le regard absolu, non médiatisé, de la Transcendance sur l’homme tue. Dans le prolongement et en référence à cette vérité première, nous dirons que tous les regards trop soutenus sur l’homme le troublent, le déstabilisent et le privent de sa sphère privée.
L’être humain a besoin d’un minimum d’opacité pour demeurer libre et assumer sa vocation. Pour survivre, les libertés individuelles doivent pouvoir s’abriter derrière des écrans protecteurs tels que le secret bancaire, mais aussi la propriété privée, une liberté économique raisonnable, la possibilité de fréquenter une école privée, l’absence de surveillance électronique excessive ou encore l’existence de billets de banque anonymes. Une transparence trop grande favorise à coup sûr l’émergence de régimes totalitaires.
Jean-Pierre Graber, Dr ès sc. politiques, Conseiller national UDC
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Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui – avril 2009
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