Entre rites et rituels: quelles raisons d’être aujourd’hui?
«Je prie beaucoup et j’envoie beaucoup de prières à Hugo. Hugo, c’est quelqu’un qui est très profond, très intelligent. Et c’est quelqu’un qui a la foi, qui comprend la foi et qui vit le rugby dans ses compétences, mais avec cette partie spirituelle dont on a besoin pour gagner quand on voit déjà la dernière finale, ce message que Dieu nous envoie, le miracle.» C’est ainsi que s’exprimait Thierry Ramade le 23 octobre sur les ondes de Radio Présence. A l’occasion de l’émission «Ma Foi j’y crois», ce coiffeur témoigne d’un «rituel»: il prie avec son client rugbyman et ce rituel encourage ce dernier à s’investir dans le match et nourrit sa confiance dans la victoire.
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Le rite, fondement de l’unité religieuse
Si les termes «rite» et «rituel» ont aujourd’hui tendance à être employés de façon interchangeable, il est cependant important de les distinguer: selon Danièle Hervieu-Léger, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, «la fonction du rite religieux, c’est de lier l’émotion collective que suscite le rassemblement communautaire à l’évocation contrôlée de la chaîne de mémoire qui justifie l’existence même de la communauté».
En d’autres termes, un rite sert à joindre le sentiment de communauté aux traditions qui en sont à la source. Dans son ouvrage Le pèlerin et le converti: la religion en mouvement, (éd. Flammarion), la sociologue explique que les rites définissent les frontières d’un groupe religieux et permettent de distinguer «ceux qui en sont» de «ceux qui n’en sont pas»: le fait, par exemple, d’être circoncis, d’être baptisé ou de pratiquer fidèlement les cinq piliers de l’islam. Les rites sont ainsi les instruments de la régulation institutionnelle – devenir membre d’une Eglise et ainsi pérenniser son Eglise –, régulation dont le rôle est, selon Danièle Hervieu-Léger, de maintenir l’équilibre entre les deux «lignes de fuite» que sont «l’enfermement communautaire d’une part, et l’universalisation éthique d’autre part».
Jésus n’a pas aboli les rites judaïques
Cette harmonie entre les deux pôles est au centre du message évangélique: dans le livre de Matthieu, au verset 23 du chapitre 23, Jésus lance une alerte aux pharisiens qui sont enfermés dans leur communauté, repliés sur eux-mêmes. Jésus les provoque, les secoue pour qu’ils retrouvent l’équilibre dans l’expression de leur foi: «Pharisiens! Vous donnez à Dieu le dixième de plantes comme la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous négligez les enseignements les plus importants de la loi, tels que la justice, la bonté, la fidélité: c’est pourtant là ce qu’il fallait pratiquer, sans négliger le reste.»
De là, décrire Jésus comme simple «révolutionnaire social» ou politique serait une description incomplète et réductrice du Dieu devenu homme. En effet, il faut comprendre les enseignements et les guérisons de Jésus dans leur contexte: il met en valeur les rites en rappelant de façon radicale leurs origines dans l’intervention du Saint-Esprit.
Dans la même lignée, citons encore cet exemple: dans Matthieu 8, 1-4, un lépreux s’approche de Jésus, se jette à ses pieds et lui dit: «Maître, si tu le veux, tu peux me rendre pur.» Jésus étend la main, le touche et lui répond: «Je le veux, sois pur!» Aussitôt, l’homme est purifié de sa lèpre. Ce qui est interpellant, c’est que Jésus lui ordonne de ne parler de sa guérison à personne, mais d’aller se faire examiner par le prêtre puis d’aller offrir le sacrifice que Moïse a ordonné, pour prouver à tous qu’il est guéri. Ici, Jésus ne bouleverse pas l’ordre religieux établi dans les chapitres 11 à 16 du Lévitique: en effet, l’un des rôles du prêtre est d’exclure ou de réintégrer la personne ou l’objet qui menace la santé du peuple. Parfaitement conscient de cela, Jésus respecte le rite de purification établi dans la loi.
Quand on peine à voir le tableau d’ensemble
Il importe d’appréhender les enseignements d’éthique sociale de Jésus selon une perspective eschatologique (qui concerne l’étude des fins dernières de l’homme et du monde), dans laquelle le rite religieux est indispensable: par exemple, Matthieu 26, 6-13 relate une dispute entre Jésus et ses disciples, parfaitement moderne dans le sens où les disciples méconnaissent le sens réel du rite religieux. En effet, comme certains altermondialistes de nos jours, les disciples ne comprennent pas que la foi évangélique dépasse la simple révolution sociale.
Dans cette histoire biblique, Jésus est à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux. Lors du repas, une femme s’approche de lui avec un flacon plein d’un parfum de grande valeur et verse celui-ci sur sa tête. Ce rite d’onction met les disciples en colère: «Pourquoi ce gaspillage? On aurait pu vendre ce parfum très cher et donner l’argent aux pauvres!» Voyant leur réaction, Jésus répond: «Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme? Ce qu’elle a accompli pour moi est beau. Car vous aurez toujours des pauvres avec vous; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours avec vous. Elle a répandu ce parfum sur mon corps afin de préparer mon tombeau.» Peinant à voir le destin funeste (et pourtant annoncé) de leur maître, les disciples de Jésus restent coincés dans une vision terre-à-terre, désespérément ancrée dans leur présent.
Le rite est communautaire et le rituel personnel
Distinguons à présent le rite du rituel; si le premier est un vecteur d’unité dont la fonction est de délimiter les frontières spirituelles d’une communauté religieuse, le second relève d’un choix personnel. Voilà quelques exemples de rituels quotidiens, dépourvus de toute dimension religieuse: rédiger, à partir de son agenda, un plan pour le lendemain; boire un café après le repas; lire le Christianisme Aujourd’hui avant de dormir.
Le rituel prend d’autant plus de sens dans notre réalité post-moderne, qui nous confronte à des constellations de défis peu explicites dans la Bible. En effet, il structure et réduit les distractions dans un monde où l’on peut se perdre dans un tourbillon de publicités, de produits, de rencontres et autres notifications. Pour cela, on peut imaginer un rituel de prière personnel, afin de faire appel à la sagesse du Saint-Esprit lorsqu’on est entouré de tentations.
Prendre exemple sur Jésus, dont le rituel a toujours été la prière et la Parole de Dieu, peut donner une véritable raison d’être à nos rituels spirituels modernes: dans Matthieu 4, 1-11, l’Esprit de Dieu conduit Jésus dans le désert pour qu’il y soit tenté par le diable. L’ayant mené au sommet d’une très haute montagne, le diable lui montre tous les royaumes du monde et leur splendeur et lui assure: «Je te donnerai tout cela, si tu te mets à genoux devant moi pour m’adorer.» Mais Jésus, ferme dans son rituel, résiste: «Va-t’en, Satan! Car l’Ecriture déclare: adore le Seigneur ton Dieu et ne rends de culte qu’à lui seul!»