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Coup d’état en Birmanie: les chrétiens dans la tourmente

Les images de la sœur catholique Ann Rose Nu Twang, à genoux devant les soldats et leur demandant d’épargner les manifestants (photo), début mars, ont rappelé qu’il y a une présence chrétienne au Myanmar (synonyme de Birmanie).
© DR
Depuis le putsch du 1er février, l’armée contrôle la population de Birmanie (Myanmar) et opprime les minorités religieuses. Les chrétiens, en plus d’être persécutés, se trouvent au cœur de conflits qui semblent sans issue. Coup de projecteur.

Les images de la sœur catholique Ann Rose Nu Twang, à genoux devant les soldats et leur demandant d’épargner les manifestants (photo), début mars, ont rappelé qu’il y a une présence chrétienne au Myanmar (synonyme de Birmanie). Son sort ne saurait être éludé alors que l’attention médiatique est portée de façon quasiment exclusive sur celui des Rohingyas, une minorité musulmane.

Les chrétiens ciblés par les attaques

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Lors du putsch du 1er février 2021 au Myanmar, l’armée a renversé la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi et le président Win Myint puis elle a proclamé l’état d’urgence pour un an. Depuis, les militaires verrouillent les possibilités de contestation. Les affaires religieuses sont désormais sous le contrôle de l’armée, une cause d’inquiétude particulière dans le tourment général que connaît le pays des pagodes dorées.

L’écrasante victoire du LND, le parti d’Aung San Suu Kyi, aux élections législatives de novembre 2020 a constitué une gifle pour l’armée qui co-dirigeait le pays et a choisi la voie du coup d’Etat. Au grand dam des minorités religieuses, dont la situation s’était relativement apaisée depuis la transition démocratique entamée en 2011. Parmi elles, les chrétiens ont été fortement attaqués, surtout dans les Etats où ils représentent une minorité non négligeable. Environ 85% de la population de l’Etat chin est chrétienne, près de 46% de celle de l’Etat de Kayah, 33% dans l’Etat kachin, 9,5% de celle de l’Etat karen ou encore 10% de l’Etat shan. Les chrétiens représentent environ 6% de l’ensemble de la population.

De l’opération de charme aux opérations militaires

Trois jours après le coup d’Etat, les militaires se sont rendus dans les églises et monastères bouddhistes pour tenter de séduire les croyants. Les généraux ont rendu visite aux responsables chrétiens, distribué du matériel médical et des sacs de riz. L’opération de charme ayant échoué et les manifestations ayant pris de l’ampleur, l’armée a changé de tactique. Si la Constitution protège la liberté religieuse, celle-ci est néanmoins restreinte, notamment pour des raisons d’ordre public. Un prétexte qui permet à l’armée de cibler les minorités, mais aussi de surveiller la communauté bouddhiste, majoritaire.

Ainsi, début avril, les militaires ont investi plusieurs églises et monastères dans l’Etat kachin au motif de la lutte contre la subversion. Le pasteur Awng Seng, de la Convention baptiste kachin, raconte que les soldats fouillent les bâtiments, à la recherche d’opposants influents ou de preuves d’activités illégales. Début mars, les militaires ont démoli les portes d’une église baptiste kachin dans l’Etat shan, à l’intérieur de laquelle ils ont tiré. Dix personnes ont été détenues deux jours durant. Des églises sont fermées. Parallèlement à cette répression, les chrétiens sont victimes du conflit entre l’armée et les rebelles.

Les chrétiens pris dans les guerres intestines

Début mars, l’Armée pour l’indépendance kachin a pris d’assaut avec succès des postes militaires et le pouvoir a lancé des frappes aériennes et des attaques au sol contre les villages en représailles. Ces combats sont aussi le quotidien dans le sud entre l’Armée nationale de libération karen (KNLA) et les forces gouvernementales.

A la suite du coup d’Etat, la KNLA s’est emparé d’une base militaire birmane, le 27 mars, ce qui a conduit à une riposte de la Tatmadaw, l’armée du Myanmar. La population est victime de cette rupture de l’accord national de cessez-le-feu entre les deux parties signé en 2015 après soixante-six ans de conflit. L’avion et l’artillerie pilonnent les zones civiles et les chrétiens sont victimes d’exactions des deux parties en conflit. Cependant, la KNLA a vainement demandé à pouvoir entrer en
Thaïlande pour assister les réfugiés.

Une Eglise s’est enfuie dans la forêt

A la mi-avril, plus de 100 000 personnes, en grande partie des chrétiens, se trouvaient dans des camps de réfugiés internes. Mais d’autres vivent terrés dans la forêt, comme le rapporte l’ONG Portes Ouvertes. Ainsi, dès que les militaires ont ciblé les églises, le pasteur d’une petite Eglise de dix-huit familles s’est réfugié avec sa congrégation dans les bois; ils vivent cachés dans des trous. Ne pouvant acheter du riz, la communauté se nourrit de feuilles et de racines. Une autre Eglise s’est enfuie dans la forêt lorsque l’armée a demandé au chef du village de recruter trente hommes comme soldats. Les chrétiens sont frustrés, désespérés, écrasés par le poids du stress, car ils ne perçoivent pas de solution au conflit.
Jusqu’en 2015, les militaires avaient férocement persécuté les chrétiens et notamment violé des filles et des femmes. Ils craignent d’être de nouveau particulièrement ciblés par la Tatmadaw.

Les chrétiens de l’Etat chin sont, quant à eux, pris entre l’armée gouvernementale et l’Arakan Army, un groupe paramilitaire bouddhiste basé dans le Rakhine, mais opérant sur les territoires de plusieurs Etats. Les deux parties ont commis des exactions à l’encontre des civils des années durant. Depuis février, les chrétiens chins et arakanais ont dû fuir leurs maisons alors que les déplacements sont plus difficiles en raison du Covid-19. Le 27 février, les forces de sécurité ont arrêté le pasteur de l’Eglise Hakha durant un culte et utilisé des canons à eau pour disperser les chrétiens. Dans la région de Sangaing, les militaires ont abattu Cung Lian Ceu, un pasteur de vingt-cinq ans qui tentait de sauver sa sœur de leurs mains.

Chrétiens rohingyas: minorité persécutée parmi les persécutés

Dans cet Etat du Rakhine, les chrétiens rohingyas sont les persécutés parmi les persécutés. Ils sont sous la menace de l’armée et de leurs voisins musulmans qui les considèrent comme des traîtres. Déjà en janvier 2020, l’Armée du salut des soldats de l’Arakhan (ARSA) avait attaqué des réfugiés chrétiens rohingyas. L’Assemblée chrétienne rohingya a publié une déclaration le 28 février 2021 indiquant que les croyants rohingyas se trouvaient dans l’incapacité de sortir pour travailler en raison des troubles et luttaient pour survivre sans revenu. 

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Juin 2021

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