Comme Monsieur Gustave
«Il persiste de faibles lueurs de civilisation dans cet abattoir barbare autrefois appelé humanité», philosophe Monsieur Gustave, personnage du film The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson. Dans une ambiance Europe centrale du début des années 1930, le maître d’hôtel méticuleux conserve des codes chevaleresques hérités d’un autre temps tandis que son monde - et plus généralement le monde - vacille. Si la République fictive de Zubrowka, la société et la civilisation plongent dans l’horreur et la noirceur du fascisme, de la violence et de la cupidité, Monsieur Gustave reste fidèle à lui-même jusqu’au bout et refuse d’abaisser ses standards à la vulgarité du siècle ambiant. Et cela (attention spoiler alert) jusqu’à la mort. Sa poésie, ses phrases ciselées, ses tirades, ses principes moraux (tout à fait personnels, mais qui ont le mérite d’exister), sa fidélité en amitié et le sillage de son eau de Cologne «Air de Panache» en font un personnage à part, consistant, qu’on n’oublie pas.
Martyrs pour rien
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Restons à l’Est, dans ces régions au charme désuet en temps de paix où de chaque foyer se dégage une bonne odeur de bortsch. De la fiction à la réalité il n’y a qu’un pas. Dans la réalité, en Ukraine, les chars russes flanqués de la lettre Z remplacent les miliciens fictifs de Zubrowka aux uniformes noirs estampillés ZZ. Mais la barbarie est la même. En fait, non: dans la vraie vie, l’horreur dépasse toute compréhension. L’odeur de l’huile de moteur et des corps à moitié calcinés a remplacé le doux fumet des soupes aux légumes. Petite ville de la grande banlieue de Kiev, Boutcha pleure ses morts après le retrait fin mars des soldats russes laissant derrière eux des centaines de civils abattus gratuitement. Ces anonymes sont devenus les martyrs d’une guerre qu’ils ne voulaient pas. Des martyrs pour rien. Martyrs de l’entêtement d’un seul. A mesure que les troupes se retirent, les témoignages de viols, de tortures, de pillages se multiplient. Le traumatisme se lit dans les yeux et sur les rides du front.
Sans crainte et sans haine
Face à la barbarie qui s’abat sur le monde, il manque trop souvent de Monsieur Gustave peut-être parce que ce sont souvent eux les premiers à disparaître. Les chrétiens devraient s’en inspirer non pas pour défendre un mode de vie mondain et une certaine étiquette comme le personnage de Wes Anderson mais pour refléter le Christ qui habite leur cœur.
Face à la barbarie qui s’abat sur le monde, il manque trop souvent d’André Trocmé, ce pasteur du Chambon-sur-Lignon, qui a su prendre des risques pour défendre ses valeurs et s’opposer à l’injustice. En 1940, au lendemain de la capitulation face aux Allemands, il prêchait ainsi: «Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience les armes de l’Esprit. (…) Nous résisterons, lorsque nos adversaires voudront exiger de nous des soumissions contraires aux ordres de l’Evangile. Nous le ferons sans crainte, comme aussi sans orgueil et sans haine.» Sans crainte, sans orgueil et sans haine: un discours consistant qui a traversé le temps et qui parle à Marioupol, à Moscou, à Paris comme à Genève. Un parfum qui perdure.