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Religion et technologie convergent: des Eglises happées par le métavers de Facebook?

es Eglises pourront bientôt intégrer le métavers (de l’anglais metaverse, un monde virtuel fictif) annoncé par Facebook permettant aux fidèles de participer en ligne aux cultes en prenant l’apparence souhaitée. Facebook a déjà initié cette collaboration avec l’Eglise Hillsong à Atlanta.
La création d’un univers virtuel fictif annoncée par Facebook séduit déjà certaines Eglises. Si l’expérience répond à un besoin de communauté certain dans les milieux religieux, elle présente aussi un risque pour la spiritualité. Analyse.

Depuis quelques années, nombre de communautés religieuses ont choisi de diffuser les cultes en direct sur Internet pour de multiples raisons telles que la collecte des dons en ligne, toucher les militaires déployés à l’étranger ou encore la distanciation sociale liée au covid. Les Eglises pourront bientôt intégrer le métavers (de l’anglais metaverse, un monde virtuel fictif) annoncé par Facebook permettant aux fidèles de participer en ligne aux cultes en prenant l’apparence souhaitée. Facebook a déjà initié cette collaboration avec l’Eglise Hillsong à Atlanta.

Associer réel et virtuel

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Le 26 juillet dernier, Mark Zuckerberg a annoncé officiellement sur Facebook la création d’un «groupe de produits métavers» qui devrait être le successeur de l’Internet mobile. Quatre jours auparavant, le milliardaire de la Silicon Valley avait exposé son projet sur le site spécialisé The Verge en décrivant le métavers comme «le saint Graal des interactions sociales» dont il rêvait déjà avant de lancer Facebook. Cet «Internet incarné» ressemblera probablement, selon lui, «à une sorte d’hybride entre les différentes plateformes sociales actuelles, tout en étant un environnement dans lequel les utilisateurs seront incarnés». 

On pourra y accéder au moyen de lunettes de réalité augmentée, accessoires associant le virtuel et le réel pour donner l’impression d’être intégré à cet espace. Ainsi, les utilisateurs pourront rejoindre leurs amis ou assister à des services religieux en étant représentés par des avatars ou des hologrammes, tout en restant chez eux.

L’expérience dépasse la 2D

Dans un article en date du 25 juillet intitulé «Prochaine cible de Facebook: l’expérience religieuse», le New York Times observe que Facebook «intensifie ses partenariats formels avec des groupes confessionnels à travers les Etats-Unis et façonne le futur de l’expérience religieuse». Bien avant que la méga-Eglise Hillsong n’ouvre ses portes à Atlanta début juin, son pasteur avait demandé comment bâtir une Eglise en cas de pandémie. Un questionnement qui a rencontré la volonté du géant californien d’utiliser une communauté religieuse comme étude de cas pour voir comment les Eglises peuvent aller «plus loin sur Facebook».

En juin, Facebook avait organisé un sommet virtuel sur la foi au cours duquel l’une de ses responsables, Sheryl Sandberg, avait déclaré que «les organisations confessionnelles et les médias sociaux s’intègrent naturellement, car les deux concernent fondamentalement la connexion».

«Un Internet incarné»

Mark Zuckerberg donne dans The Verge des exemples de cette vision de la connexion: «Il s’agira d’un Internet incarné dans lequel, au lieu de simplement visualiser du contenu, vous serez vraiment présent. Et vous vous sentirez présent auprès d’autres personnes. Comme si vous vous trouviez dans d’autres endroits, ayant des expériences différentes, que vous ne pourriez pas nécessairement faire sur une application ou une page Internet 2D, comme la danse, par exemple.»

>> Insolite : Un pasteur baptise en réalité virtuelle <<

Mark Zuckerberg souligne dans The Verge l’absence d’incarnation dans les échanges en ligne où l’impression d’espace en commun est inexistante parce que l’utilisateur voit une grille de visages sur un écran, alors que ce n’est pas la manière normale dont le cerveau traite les informations. Il observe que dans une pièce, on sait de quel côté vient la voix de celui qui parle et que cela permet de se rappeler qui a dit quoi, chose impossible en ligne. La comparaison entre la connexion via les réseaux sociaux et celle via les communautés religieuses relève cependant d’une confusion entre la communication et la communion. Cette dernière impliquant une dimension affective et spirituelle, là où l’incarnation permet un rapport réel aux autres.

Un risque pour la spiritualité

Les premiers chrétiens étaient dans la communion permanente. Peut-on imaginer un risque de désarticulation du christianisme, religion fondée sur l’incarnation de la divinité et le fait de voir le visage de Christ chez chaque chrétien? Tim Kyle, cadre dans une multinationale informatique et président des éditions BLF, distingue la réalité virtuelle et la réalité augmentée: «Dans les métavers, en réalité virtuelle, chacun peut se faire passer pour quelqu’un d’autre et il est donc impossible de savoir qui est qui, la personne est totalement déshumanisée. Quant à la réalité augmentée - et j’y vois un avenir certain - elle bouleversera notre rapport à l’espace-temps. J’y vois moins de problèmes de désarticulation du christianisme, même s’il faut rester vigilant.» 

Concernant les identités, selon un rapport interne d’octobre 2019 de Facebook obtenu par la MIT Technology Review, les quinze principales pages ciblant les chrétiens sont gérées par des fermes à trolls (organismes chargés de produire un trollage à grande échelle) situées en Europe. La problématique est donc déjà d’actualité. Tim Kyle observe un autre risque. Selon lui «cette extrême virtualisation nous arrache de la réalité et du transcendant. Par exemple, le fait que nous passions autant de temps devant nos écrans nous empêche d’avoir une juste compréhension de la Création. Or si nous n’observons plus les merveilles de la Création, comment saurons-nous reconnaître le Créateur?»

Réfléchir à une stratégie numérique

Les bans spectaculaires de personnalités politiques des réseaux sociaux peuvent également laisser craindre une surveillance de la parole religieuse. Jason Thacker, éthicien spécialiste des technologies auprès de la Convention baptiste du Sud, constate que «les nouvelles places publiques numériques promettaient d’apporter une ère dynamique de connectivité et de convivialité au-delà des distances, des communautés plus diverses et un meilleur accès à l’information. Beaucoup de ces promesses initiales ont été faites sous des régimes oppressifs dans le monde entier qui violaient la liberté de religion.» Une critique qui rejoint le souci de Tim Kyle: les Eglises présentes sur les réseaux sociaux ignorent souvent les conditions générales d’utilisation et prennent le risque d’être subitement exclues de Facebook, sans aucun recours possible. Pour lui, «cela devrait amener les Eglises à se poser la question de leurs stratégies numériques».

Autre crainte non négligeable, celle de l’utilisation des activités spirituelles récupérées comme des données, redoute l’éditorialiste Joe Allen dans The Federalist, qui rappelle que c’est le fonctionnement normal de Facebook, un réseau qui s’appuie sur les algorithmes pour cibler les centres d’intérêt des utilisateurs. «Acceptons-nous qu’après avoir visionné la vidéo du culte, le spectateur soit happé par l’algorithme et passe ses deux prochaines heures à regarder des vidéos inutiles voire nocives?», questionne Tim Kyle. Comme jadis la radio et la télévision, la vidéo en direct et le métavers, aussi utiles et efficaces qu’ils puissent être, ont leurs effets pervers. 

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Novembre 2021

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