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Profaner le Mammon de l’injustice: Lettres à Théophile

© aluxum / Getty Images
Sur le modèle des Lettres de Paul, cette chronique met en scène un auteur (dont on ne connaît pas le nom) qui converse avec un certain Théophile (dont vous ne lirez jamais rien) sur des questions bibliques et divers sujets qui animent l’Église d’aujourd’hui.
Jonathan Herment

Cher Théophile,

Je te remercie pour ta réponse à ma dernière lettre. Tu as raison de m’interpeller sur la parabole de l’intendant infidèle (Luc 16) qui ouvre une autre dimension dans notre réflexion sur la pauvreté. Je comprends qu’elle te laisse perplexe: comment le maître peut-il féliciter son intendant qui, en plus d’avoir dilapidé ses richesses, se met à l’abri en fraudant? Je ne pense pas que Jésus soutienne la malhonnêteté, mais plutôt qu’il cherche à choquer, à provoquer. Je crois que c’est dans l’absurdité de sa résolution, contraire à toute logique économique rationnelle, que réside la force de cette parabole.

Dans l’explication qui suit, Jésus emploie une expression bien spécifique pour parler des richesses: le Mammon de l’injustice. Ce terme, utilisé par les Juifs de son temps, identifiait l’argent à une puissance du monde déchu. En concluant: «On ne peut pas servir Dieu et Mammon», Jésus appelle à choisir entre deux puissances: celle de l’économie et du profit – qui, comme nous en avons parlé lors de notre dernier échange, est forcément entachée d’injustice – ou celle du Royaume, caractérisée par le partage et la générosité. Le théologien Jacques Ellul parle même de «profaner» Mammon, puisque préférer le Royaume au pouvoir de l’argent est un acte subversif par lequel cette puissance est dénoncée et contestée.
Par l’impression de sécurité qu’il procure, l’argent donne l’illusion que l’on peut se passer des autres. En étant dépossédé de sa responsabilité, l’intendant biblique est mis face à cette illusion. D’isolé qu’il était, il découvre dans le don une épargne plus sûre pour garantir sa subsistance sur le long terme.

Il me semble que c’est ce que Jésus veut enseigner: si elle n’est pas employée au bénéfice de la relation, la richesse est inutile. Car ce qui demeure, c’est l’amour qui se cache derrière le don. Il applique ici une logique à l’inverse d’une économie capitaliste; vue sous cet angle, la réaction du maître a quelque chose de «divin», laissant supposer qu’il se souciait moins d’assurer son profit que de corriger l’égoïsme de l’intendant.

Ainsi, si Jésus appelle à user du «Mammon de l’injustice», c’est certes pour répondre aux besoins des pauvres; mais peut-être plus encore pour libérer celui qui veut être disciple d’une allégeance au pouvoir de l’argent. Vaste programme, qui confronte nos fausses sécurités et appelle à nous remettre en question. Je te souhaite, cher Théophile, comme à moi-même, de trouver en Dieu la grâce d’un cœur généreux, qui s’évertue à profaner le Mammon de l’injustice.

Jonathan Herment

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Avril 2025

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