Paillettes nucléaires sur tapis rouge
Il était l’opposant le plus fervent de Vladimir Poutine. Le 16 février dernier, le monde entier a été choqué d’apprendre la mort du prisonnier politique russe Alexeï Navalny, alors âgé de quarante-sept ans. Les circonstances de sa mort restent obscures; plus de quarante pays ont à ce jour demandé une investigation internationale indépendante.
Le décès de l’ennemi numéro un de Vladimir Poutine a défrayé la chronique mais ce que peu savent, c’est que dans ses dernières années, ce militant politique et fervent athée s’est converti à la foi chrétienne orthodoxe. Alors qu’il était emprisonné, il avait publié sur les réseaux sociaux en mai 2021, à l’occasion de Pâques: «Hourra! Le Christ est ressuscité. La vie et l’amour ont gagné.» Et s’adressant à sa communauté, il avait lancé: «Je salue tout le monde: les croyants (desquels je suis désormais), les non-croyants (desquels j’étais) et les athées (desquels j’étais également).» Lors de sa défense devant le tribunal en 2021, le père de famille avait publiquement affirmé avoir trouvé la foi et cité un passage du Sermon sur la montagne en Matthieu 5, 6: «Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés», tout en indiquant qu’il luttait pour que justice soit faite dans son pays. Ce passage biblique résonne particulièrement juste, à une ère où la faim et la soif sont bien trop réelles pour un grand nombre de peuples à travers le monde. Alexeï Navalny est aujourd’hui salué pour son courage, sa persévérance, ses idéaux, qui lui ont finalement coûté la vie.
Dans un même registre mais avec plus de paillettes, on a suivi la célèbre cérémonie des Oscars dans la nuit du dimanche 10 mars et sans surprise, Oppenheimer a raflé pas moins de six Oscars, dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur. Un triomphe pour ce long-métrage racontant la vie de J. Robert Oppenheimer, «père» de la bombe atomique: une splendide œuvre de fiction à la Christopher Nolan qui expose à l’écran les tréfonds de l’ambiguïté morale qu’impliquent les différentes étapes et avancées d’une telle invention – et plus largement les tréfonds de l’âme humaine, dans toute sa complexité.
Même registre car l’invasion de Vladimir Poutine en Ukraine a ravivé la question nucléaire, ce dernier s’avançant à plusieurs reprises, depuis, dans des discours inquiétants voire menaçants. Et les élections à venir de l’autre côté de l’Atlantique assurent de garder la question nucléaire sur le devant de la scène pour le moment. Le monde dans lequel nous vivons est un monde post-Oppenheimer, qu’on le veuille ou non.
Dans son discours de remerciement, l’acteur Cillian Murphy a dédié son trophée aux «artisans de paix». Certains d’entre eux refusent de rester passifs, ils choisissent l’offensive et agissent par faim et soif de justice parce qu’à l’instar d’Alexeï Navalny – dont le combat est aujourd’hui courageusement porté par son épouse Yulia Navalnaya –, ils savent que «la vie et l’amour ont gagné». D’autres œuvrent à la paix sans faire de vagues, d’autres encore sèment la paix mais ne la récoltent jamais. A nous, chrétiens modernes, à notre échelle, avec nos capacités, sans trophée et sans paillettes, de comprendre et d’agir selon ce qu’avoir faim et soif de justice implique, car nous serons rassasiés.