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Merci, s’il te plaît… ces mots que l’on ne trouve pas dans la Bible

Un jeune homme au volant de sa voiture en train de saluer de la main pour dira à la fois merci et désolé.
© iStock - Un jeune homme au volant de sa voiture en train de saluer de la main pour dira à la fois merci et désolé.
«Je suis désolé», «merci beaucoup», «s’il te plait». Ces formules dites de politesse règlent les rapports sociaux et permettent des échanges pacifiés. Mais quelle est leur réalité biblique? Pourquoi Jésus ne les utilisait-il pas? Parti pris.
John Bainbridge

J’étais dans une région montagneuse d’Algérie avec un petit groupe de voyageurs. C’était en 2005 et nous étions accueillis dans les plus humbles circonstances comme si nous étions des princes. Le sourire de la femme berbère qui nous servait à manger rayonnait presque autant que les couleurs de sa tenue. Tout se passait bien, jusqu’à que l’un des membres de notre groupe insiste pour que la femme nous rejoigne et mange à la même table que nous. Cette insistance était en fait très maladroite! Le membre de notre groupe faisait honte à la femme qui nous servait.

Cela ne m’a pas servi de leçon. En travaillant au Maghreb pour une ONG chrétienne, j’y ai fait de nombreux faux pas. J’ai par exemple procédé à plusieurs visites dans un seul après-midi: rien de plus impoli pour le premier rendez-vous!

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Loin du Maghreb mais toujours dans une culture orientée vers l’honneur et la honte, au Japon, on apprend aux enfants à éviter les échanges de regards et à regarder vers le larynx de leur instituteur. C’est un gros piège pour un voyageur d’une culture où un manque de contact visuel peut être interprété comme un signe de non sincérité. Qu’il s’agisse de l’organisation dans le temps, de la notion de vie privée, des contacts physiques et visuels ou encore de la culpabilité, de la honte et de la responsabilité, de l’expression de la déférence, de la notion de famille, des remerciements et des excuses etc., notre culture nous affecte à chaque instant de notre vie.

Un Jésus francophone pas très poli

Sur la quasi-totalité des dimensions culturelles, on peut effectivement identifier des divergences culturelles importantes entre les différents contextes bibliques et les nôtres. Le «Jésus francophone» s’exprime ainsi bizarrement parfois: «Femme, ta foi est grande» (Mat. 15, 28), déclare Jésus, en public. Aïe. Dans nos cultures occidentales, s’adresser à une femme par «femme» serait considéré, au-delà du manque de respect, comme de la misogynie. On remarquera également que même si Jésus avait adopté une position radicalement basse comme meneur d’hommes, il ne s’excusera jamais et ne dira ni «s’il vous plaît» ni «merci» (même s’il va «rendre grâce à Dieu» plusieurs fois). Pourquoi cela?

Une force à la fois spirituelle et relationnelle

Ces omissions seraient-elles voulues par les évangélistes? Malgré le gouffre culturel entre la Bible et notre société, d’une manière ou d’une autre cette histoire continue à transformer les vies, et ce malgré ces «faux pas». Comment ces transformations peuvent-elles donc s’opérer au vu de ces problèmes? Apparemment, les lecteurs continuent à y trouver une force à la fois spirituelle et relationnelle qui leur permet d’aller au-delà de ce qui aurait pu les offenser.

Dans un passage bien connu, par exemple, les lecteurs découvrent Jésus en train d’annoncer que la règle de l’œil pour œil et dent pour dent est dépassée et qu’il est temps de tendre l’autre joue. Ils le voient laver les pieds de ses disciples et porter régulièrement son attention sur les personnes les plus exclues de la société. Ils entendent l’apôtre Paul dire de Jésus qu’il s’est «dépouillé» dans son épître aux Philippiens, qu’il s’est mis à leur niveau. C’est une véritable révolution qui banalise peut-être ce que dit Jésus (et ce qu’il ne dit pas) en français lorsqu’il est à contre-courant de son image globale de grâce.

Jésus et la reconnaissance

En ce qui concerne ses dires envers les femmes - à qui il montre un vrai respect - on pourrait donc se poser la question de l’opportunité d’un vouvoiement et d’un «madame» plutôt que «femme». Mais le plus important serait de placer Jésus aujourd’hui face à la question de son apparente absence de formules d’excuses et remerciements, tels que nous les exprimons en français.

On peut affirmer que ces formules en français ne sont pas que des mots. Sous certaines conditions, ces formules de politesse seraient plutôt une façon importante pour ceux qui les utilisent de reconnaître et de restaurer un équilibre à une relation. Jésus le Juif en serait sans doute préoccupé car dans sa culture, les deux expressions ne font réellement qu’une. Les juifs pratiquent encore quotidiennement la prière hoda’ah qui est à la fois un remerciement et une confession de cœur. On reconnaît par là ce que Dieu a fait pour soi et on reconnaît ce qu’on a fait à ses dépens.

La gestuelle lorsque nous faisons patienter un conducteur sur la route

Au deuxième regard, voir la reconnaissance comme une force révolutionnaire unique dans le merci et les excuses ne devrait pas nous sembler trop étrange. Réfléchissons à notre gestuelle lorsque nous faisons patienter un conducteur sur la route. On lève la main, peut-être en souriant. Simultanément on s’excuse et on remercie l’autre. De plus, la main levée est une salutation, une simple reconnaissance de sa présence.

Par la même occasion, la personne ayant généralement du mal à reconnaître ce que l’autre a fait pour lui risque d’avoir des difficultés à reconnaître ce qu’il a fait aux dépens de l’autre. S’il n’est pas un humain reconnaissant, il court le risque d’être «mal dans ses baskets». On sait que Jésus voudrait que son Eglise reconnaisse ceux que la société dédaigne, c’était sa spécialité. Mais est-ce qu’il aurait voulu que l’on «s’excuse» et que l’on dise «merci» si on ne le voit pas faire pareillement?

De la perdition à la reconnaissance

Les philosophes diraient que la question de la reconnaissance est même identitaire, ce qui porterait un nouveau sens transculturel à l’idée chrétienne d’être «perdu». 

Si on s’appropriait une approche plutôt dynamique, «suivre Jésus» s’articulerait moins en «sauvé/perdu» mais plus en «mouvement/croissance». On se rendrait ainsi compte que même les mots clés tels que «vraiment désolé» ou «un grand merci», aussi bien soient-ils, ne seront jamais plus que des mots statiques. Ils ne pourront pas faire plus qu’accompagner (ou abandonner) un cœur reconnaissant (ou pas reconnaissant).

La reconnaissance, finalement est l’antonyme de la perdition. Ce serait véritablement le parcours et l’aventure vers la connaissance de soi et de l’autre qui ne cessera jamais d’avancer. 

John Bainbridge consultant en traduction biblique

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Novembre 2021

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