Le recul d’une génération
Le 4 février dernier, Mark Zuckerberg a fêté les vingt ans de son premier bébé, la plateforme devenue compagnie Facebook, mise en ligne alors qu’il n’avait que dix-neuf ans, depuis sa chambre d’étudiant de Harvard. En juillet dernier, la multinationale américaine Meta (maison-mère de Facebook) a annoncé que le cap des trois milliards d’utilisateurs avait été franchi sur le réseau bleu. En 2004, Facebook a permis ce qui n’avait encore pas été fait jusqu’alors: connecter les êtres humains les uns aux autres virtuellement et instantanément.
On se souvient de l’innovation que représentait le partage instantané de photos, de réactions, d’émotions ou d’expériences, ou encore la naissance du selfie. La possibilité de connaître le nombre exact d’amis ajoutés sur la plateforme et de savoir qui aime ce qu’on publie. L’arrivée de ce réseau social a changé les codes et nos façons d’interagir, on ne l’apprend à personne. Mais là où ça devient intéressant, c’est que vingt ans représentent aussi une génération. La première fille de Mark Zuckerberg est aujourd’hui âgée de six ans. Certains d’entre nous n’avaient pas encore l’âge de raison quand Facebook est né, nous avons donc grandi avec cet outil et cette façon de vivre les relations humaines: en constante connexion.
Vingt ans, c’est aussi le recul nécessaire préconisé par les historiens pour atteindre une certaine objectivité sur un événement. C’est pour cette raison-là que Peter Morgan, réalisateur de la série à succès The Crown, ne s’engouffrera pas dans l’histoire de Meghan et Harry à l’écran.
Après vingt ans de recul donc, on peut espérer jeter un regard plus ou moins objectif sur les événements de 2004. Le Figaro n’a pas perdu de temps. Dans un questionnaire en ligne à son lectorat publié le 31 janvier, il pose la question: «20 ans de Facebook: les réseaux sociaux ont-ils été un progrès pour la société?» Plus de 140 000 internautes ont voté, pour un retentissant «non» à 86%. Il est là, le recul que procurent vingt ans.
Il est aussi dans le regard des familles endeuillées qui se trouvaient derrière Mark Zuckerberg face au Sénat américain le 31 janvier, lors d’une audition réunissant les dirigeants des plus grands réseaux sociaux, interpellés sur les dangers que représentent leurs plateformes pour les enfants et les adolescents. A la surprise générale et avec un ton très solennel, le patron de Facebook a présenté ses excuses aux parents d’enfants qui ont trouvé la mort à cause d’un réseau social. Car effectivement, si Facebook a permis aux humains de se connecter les uns aux autres et de partager leurs émotions, il a aussi facilité (et facilite encore) la haine, l’impulsivité, les messages cachés et l’exploitation sous diverses formes, sans régulation compétente.
Intéressante coïncidence en guise de conclusion: le monde de la spéléologie célèbre aussi un anniversaire particulier. En 2004, des explorateurs sont descendus pour la première fois à plus de 2000 mètres en-dessous de la surface de la Terre. Un record depuis battu, mais ce cap était marquant pour les milieux de l’exploration d’alors. On se permet l’analogie, si les vingt ans de Facebook font grincer des dents, c’est aussi à cause de la profondeur des ténèbres que cette révolution numérique a révélé en l’être humain. Heureusement que le choix de remonter à la surface, de se connecter les uns aux autres dans la vraie vie et de protéger les plus vulnérables est à notre portée et celui-ci, pas besoin de vingt ans pour le faire.