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La Porte Ouverte de Mulhouse, un an après la tempête

L'Église de la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse est une église évangélique charismatique en France.
© 2015 Église de la Porte Ouverte Chrétienne
Si la tempête médiatique est terminée, les évangéliques de la Porte Ouverte de Mulhouse gardent en mémoire l’intensité des attaques dirigées contre eux qui ont démarré fin février 2020. Des traces au service d’une spiritualité renforcée. Reportage.
Christelle Bankolé

Samedi 30 janvier 2021. Ce matin-là, dans l’espace réduit de la salle de culte de l’Eglise la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse (Haut Rhin), près de deux cent fidèles écoutent la prédication du pasteur Jean-Marie Ribay. «Demander, c’est d’abord exercer une toute petite foi, c’est tout ce que nous avons mais elle déplace des montagnes. Il ne suffit pas juste de subir la menace des géants. (…) Regardons-les et affirmons que nous allons les affronter!» Ces géants, les fidèles les ont connus de plein fouet l’an dernier après le rassemblement de jeûne et prière qui s’est tenu du 17 au 24 février 2020 en présence de 2000 personnes, et qui s’est révélé être l’un des foyers du Covid-19. L’Eglise est ainsi devenue la première victime du virus et la cible d’une tempête médiatique de grande ampleur. Durant plusieurs mois, elle s’est vue accusée d’avoir accéléré la propagation du virus.

Apaisés mais fatigués

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Un an plus tard, l’émotion est encore palpable. Frédéric, 39 ans, ancien malade, se rappelle avoir ressenti beaucoup de colère et un sentiment d’injustice: «C’était la double peine, supporter la maladie et les attaques médiatiques contre l’Eglise et tous les chrétiens.» Aujourd’hui, ce papa de deux enfants est heureux de pouvoir retrouver ses frères et sœurs en ce deuxième samedi de culte ouvert au public en matinée. Un peu plus loin, à l’entrée, le sourire d’Irina, infirmière et agente d’accueil, témoigne du plaisir de savourer de nouveau une vie fraternelle, bien que limitée. De l’aveu de Nathalie Schnœbelen, directrice de la communication de la Porte Ouverte, si la joie semble revenue parmi les membres et si les pasteurs sont désormais apaisés, elle confie se sentir fatiguée. «Cette semaine, notre agenda indiquait l’anniversaire de Gérard, un ancien pilier de l’Eglise, décédé du Covid. Ce rappel inattendu nous a saisis. Oui, nous avons souffert, nous avons perdu trente- deux frères qui nous étaient chers mais nous comprenons que Dieu l’a permis même si nous n’en avons ni les tenants et les aboutissants.»

L’Eglise ne remet pas en cause l’organisation de cette semaine de jeûne et prière qu’elle reconduit cette année du 1er au 5 mars dans un format mixte alliant présentiel et contenus numériques. «Le manque de relationnel est une souffrance», décrit Nathalie Schnœbelen. «Beaucoup de groupes souhaiteraient reprendre leurs activités. Cela nous a encouragés à cultiver des relations inter-Eglises plus riches, même si nous avons aussi dû affronter des électrochocs. Certains ont abandonné la foi ou ne sont pas revenus à l’Eglise. Nous apprenons à nous ancrer plus profondément en Christ.»

Chaque geste est désormais analysé

Si l’Eglise a aujourd’hui retrouvé son calme, la vigilance est de mise. Dans le hall d’entrée, les équipes veillent à faire respecter les mesures sanitaires: gel, masques, distanciation, billets d’entrée, etc. Les participants sont priés d’aller directement s’asseoir dans la grande salle. «Aujourd’hui nous subissons moins d’agressions et sommes approchés par moins de journalistes mais nous ne pouvons plus nous retrouver comme avant et les membres de l’Eglise ont exprimé leur déception», témoigne Thierry, 53 ans, chef de la sécurité. «Alors depuis le 23 janvier, ce second culte est proposé en présentiel le samedi matin pour permettre au plus grand nombre d’en profiter.» La jauge de 2300 sièges a été abaissée à 600.

Nathalie Schnœbelen ajoute que certains membres hésitent à revenir à l’Eglise par peur, par sagesse ou par sécurité: «Encore récemment, un voisin a appelé la sous-préfecture pour signaler que des gens s’embrassaient sur le perron de l’église. Nous sommes scrutés à la loupe, alors on applique cette parole de Jésus qui nous invite à nous montrer simples comme la colombe et prudents comme le serpent. Nous avons conscience que tout ce que nous pouvons dire ou faire est analysé.»

Des conséquences encore ressenties aujourd’hui

En filigrane, Nathalie Schnœblen craint que la Porte Ouverte ne reste auprès de l’opinion publique la cause de la propagation du virus en France. «Cela donne l’impression que la Porte Ouverte a servi de bouc émissaire dans le cadre de cette crise sanitaire», analyse Didier Renck, président du CNEF Mulhouse. «Elle a été la victime de nombreuses réactions excessives voire violentes, notamment sur les réseaux sociaux. Tout cela démontre globalement une méconnaissance de la part des grands médias et d’une partie de la population française au sujet des Eglises protestantes évangéliques.»

Samuel Peterschmitt, absent ce samedi-là, ne s’est pas caché de la campagne de dénigrement nourrie à son encontre, dont les conséquences ont rejailli sur l’ensemble de la communauté évangélique mulhousienne. Franck, professeur des écoles se rappelle: «Quand les Eglises ont pu reprendre leurs cultes cet été, notre communauté évangélique de Pfastatt a choisi d’en différer l’ouverture. Nous avions appris que certaines Eglises avaient été prises pour cible par des dégradations. Et puis suite au déversement de haine sur les évangéliques, nous avons joué la prudence, souhaitant être un témoignage vis-à-vis des voisins», partage-t-il. Pour Lydie, professeure d’histoire, c’est sa vie chrétienne qui s’est vue freinée: «Cette tempête médiatique nous a affectés d’un point de vue spirituel. Je pense aussi à l’effet exercé sur les actions d’évangélisation. La consigne serait plutôt la discrétion et le respect scrupuleux des consignes étatiques.»

Une occasion à saisir

Pour Sarah (prénom d’emprunt), 23 ans, fonctionnaire dans l’administration et habituée de l’Eglise évangélique de la Porte Ouverte, c’est assez révélateur de l’évolution de la société qu’elle juge de plus en plus laïciste. «Cette période a mis en exergue la vulnérabilité des croyants et la fragilité des droits et libertés religieuses», s’alarme-t-elle. «Je pense que cela doit être une occasion pour l’Eglise, pour les chrétiens, de grandir et plus largement de prier pour les chrétiens du monde entier qui sont persécutés. On connaissait leur situation de loin sans les comprendre. Je n’irai pas jusqu’à parler de persécution à notre encontre, mais cela nous permet de prendre davantage conscience du privilège que nous avons depuis des décennies d’exercer librement notre foi. La parole de Dieu me semble éclairante sur l’avenir des conditions dans lesquelles nous serons amenés à exercer notre foi. Il faut nous y préparer. Il s’agira de travailler notre témoignage et de faire briller la lumière que Dieu a mis dans nos cœurs dans un monde de plus en plus obscur.»

Solidarité marquée

Face aux critiques les plus virulentes, certains Haut-Rhinois font cependant preuve de clémence et de pragmatisme: «Ce qui s’est passé dans cette Eglise ne m’a pas choqué», tempère Jérôme, 47ans, paysagiste, en balade dans le centre-ville de Mulhouse. «Je viens de la région de Colmar et je connais cette Eglise. Je m’y suis d’ailleurs déjà rendu une fois. Certes, des personnes sont devenues porteuses du virus mais il faut se rappeler du contexte: à l’époque on ne connaissait pas le virus!» Aurélia, 30 ans, de Cernay, y souscrit: «Le cluster ne nous a pas marqués. C’est arrivé chez eux mais cela aurait pu arriver partout ailleurs, nous ne ressentons pas de rancœur.»

Dans un même esprit, les Eglises évangéliques mulhousiennes ont tenu à adresser des mots de soutien ainsi que leurs prières à leurs frères et sœurs de la Porte Ouverte de Mulhouse. Didier Renck, pasteur et président du CNEF Mulhouse partage s’être senti, avec l’Eglise locale, entièrement solidaire de ce que vivaient leurs amis de la Porte Ouverte. Soutien de poids également, le Conseil des Evangéliques de France (CNEF) mais aussi celui de plusieurs communautés catholiques qui ont tenu à adresser leurs encouragements. «Nous avons aussi reçu le soutien de Jean Rottner, le président du conseil régional du Grand Est. Il est l’un des seuls à nous avoir défendus. Nous entretenons également de bonnes relations avec la mairie de Mulhouse et la maire Michèle Lutz. En juin, le pasteur Samuel Peterschmitt a pu revoir Josiane Chevalier, la préfète du Grand Est. Elle n’a pas désiré revenir sur ses propos mais elle a exprimé son souhait de venir nous visiter pour mieux nous connaître», poursuit Nathalie Schnœblen. En mars dernier, Josiane Chevalier avait mis en cause la responsabilité de l’Eglise de la Porte Ouverte de Mulhouse dans la propagation massive du Covid-19 dans sa région.

Une plus grande vitrine pour les évangéliques

«Cela nous a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Et il en est ressorti du positif. Cette crise a permis de faire connaître les évangéliques et de leur donner de la visibilité. Cela nous a engagés à renforcer nos équipes d’accompagnement auprès des personnes isolées et des veuves particulièrement. Aujourd’hui on est plus proche des gens et on est conscient de ce qu’ont vécu les chrétiens persécutés en Algérie. On réalise qu’une Eglise pourrait fermer bien plus vite qu’on ne le croit», analyse encore Nathalie Schnœblen.

Pour Sarah, ces événements peuvent être lus comme un appel à la prudence et à l’auto-questionnement sur le monde qui nous entoure. Et de se rappeler que Dieu est fidèle à sa Parole et qu’il peut transformer le mal en bien. «Nous ne sommes pas différents spirituellement mais on a gagné en humilité et en simplicité», admet Nathalie Schnoebelen.

«On est devenu comme des petits enfants dépendants de Dieu. Tout peut arriver à tout instant, mais on est confiant», conclut-elle.

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mars 2021

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