La plus sale des besognes
Etrange journée, en vérité ! Le soldat n’aimait pas ce qu’on lui demandait de faire depuis le matin. Combattre, c’était son métier, mais clouer des hommes sur des croix et les regarder mourir, supporter leurs hurlements pendant des heures, parfois des jours, cela n’avait rien d’humain. Heureusement, tout serait bientôt fini. Pour une raison incompréhensible, liée à l’obscure religion des gens de cette province, les corps devaient être décloués avant le coucher du soleil. Il fallait donc accélérer le processus en cassant les jambes des suppliciés pour les empêcher de se relever et de reprendre leur souffle. En général, c’était radical et ils mouraient en quelques minutes.
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Le soldat avisa un paysan qui traînait par là pour goûter au spectacle. Il ricanait d’un rire imbécile et malsain, tenant en main un solide gourdin dont il se servait pour se préserver des mauvaises rencontres sur la route. Le soldat le lui prit et s’approcha du premier supplicié. En le voyant arriver, le bougre comprit ce qui allait se passer. Il l’injuria de la pire des façons et tenta désespérément de se libérer de sa croix. Ses poignets étaient complètement déchirés. Ses plaies saignaient méchamment.
Sans un mot, sans un regard, le soldat leva le gourdin et l’abattit sur la première puis sur la seconde jambe. Le craquement des os était horrible. Le hurlement plus horrible encore. Il s’avança d’un pas lourd vers la deuxième croix et répéta les mêmes gestes avec la même terrible indifférence feinte. Mais il était au bord de la nausée.
Il n’en restait plus qu’un, celui qui avait un «roi des Juifs» placardé au-dessus de la tête. C’était une idée du gouverneur. Ce supplicié… il avait été étrange dès le début. Il semblait porter une souffrance intérieure qui repoussait bien loin les douleurs physiques qui lui étaient infligées. Certes, il avait hurlé comme les autres quand on l’avait cloué, mais il y avait quelque chose d’insolite en lui. Il paraissait vivre son martyre à un autre niveau. Son regard était calme et non pas halluciné comme celui des autres. Il n’y avait pas de haine en lui, pas de peur non plus. En le regardant, on avait l’impression qu’il dominait la situation. Même quand une troupe de prêtres et d’excités religieux étaient venus se moquer de lui, il n’avait rien répondu.
Maintenant, il fallait lui casser les jambes et tout serait fini. Mais quelle ne fut pas la surprise du soldat de découvrir qu’il était déjà mort. Par acquit de conscience, il prit sa lance et d’un geste sec, piqua sa poitrine. Aussitôt du sang et de l’eau en sortirent. Du sang, de l’eau. Etrange, pensa le soldat, on dirait une naissance!
Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui – novembre 2009
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