La nuit je mens, Alain Bashung
Les interprétations diverses ne manquent pas pour ce titre mystérieux et poétique, considéré comme l’une des meilleures chansons de Alain Bashung. D’après le co-auteur du texte, Alain Fauque, les images presque surréalistes auraient été inspirées par les mensonges des «résistants de la dernière heure», des individus qui se réclamèrent soudain de la Résistance lorsque la défaite des Nazis devenait évidente à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Il est difficile de déterminer si le narrateur cherche à impressionner une femme ou tente de se donner une bonne image aux yeux de ceux qui lui reprocheraient trop peu d’action pendant l’Occupation. Il évoque d’obscurs voyages effectués de nuit, ainsi que des plongées sous-marines et des exercices vertigineux: «On m’a vu dans le Vercors sauter à l’élastique, voleur d’amphores au fond des criques». «Faire la cour à des murènes» semble être un périlleux exercice quand on pense à l’agressivité de ces poissons. Qui sont les «loulous» qu’il aurait dressés? Quand il affirme «la nuit, je mens», fait-il référence aux mensonges prononcés pour se préserver des forces ennemies, ou bien évoque-t-il à demi-mots les exagérations et inventions de ses propos?
Une lecture attentive de ce texte ne clarifie guère le sens précis des images et soulève plutôt de nouvelles questions. Mais il ne fait aucun doute que le thème de l’illusion et du paraître sous-tend l’ensemble. Après la bataille, qui n’aurait pas aimé être plus héroïque? Et il n’en faut pas beaucoup pour passer du désir imaginaire à l’invention mensongère. Il n’y a qu’un pas entre la description des actes admirables que nous aurions aimé effectuer et l’affirmation de faussetés «effrontées».
Cette tentation provient d’un besoin enfoui dans le cœur humain: celui d’être aimé et admiré, même si nous ne le méritons pas. Cette envie de paraître intéressant provoque une insatisfaction permanente. Avec la phrase «j’ai dans les bottes des montagnes de questions où subsiste encore ton écho», la chanson compare ce désir inassouvi au déplacement constant du voyageur en quête de réponses à des questions à peine formulées. Cette inquiétude intérieure est un «écho» d’une reconnaissance inconditionnelle, d’un amour immérité, de ce que l’on pourrait appeler la grâce.
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La nuit je mens, Alain Bashung
On m’a vu dans le Vercors
Sauter à l’élastique
Voleur d’amphores
Au fond des criques
J’ai fait la cour à des murènes
J’ai fait l’amour
J’ai fait le mort
T’étais pas née
À la station balnéaire
Tu t’es pas fait prier
J’étais gant de crin, geyser
Pour un peu, je trempais
Histoire d’eau
La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens,
Je m’en lave les mains.
J’ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho.
J’ai fait la saison dans cette boite crânienne
Tes pensées, je les faisais miennes
T’accaparer, seulement t’accaparer
D’estrade en estrade j’ai fait danser tant de malentendus
Des kilomètres de vie en rose
Un jour au cirque un autre à chercher à te plaire
Dresseur de loulous,
Dynamiteur d’aqueducs
La nuit je mens
Je prends des trains à travers la plaine
La nuit je mens
Effrontément
J’ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho.