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Histoires de bergers qui étaient des loups

© GettyImages
Le royaume de Dieu ne ressemble pas à ceci: un pasteur abuse de son pouvoir pour s’attirer les bonnes grâces de ses fidèles. Il laisse derrière lui une église déchirée.

La fin d’année 2024 aura été ponctuée par deux affaires qui ont gâché la fête de certains, et en même temps soulagé les autres. Le point.

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L’affaire Matthieu Koumarianos

Dans l’émission VIP de la chaîne KTOTV, en janvier 2015, le pasteur de l’Eglise évangélique My Gospel Church à Paris, Matthieu Koumarianos, détaillait les trois principales objections à la foi chrétienne: «La prière non exaucée, la souffrance et le piètre témoignage des chrétiens.» Dix ans plus tard, la souffrance des membres de My Gospel Church a atteint son paroxysme le 15 décembre 2024 quand, lors d’une longue réunion de plus de cinq heures, ils apprenaient et/ou prenaient conscience des multiples tromperies, abus sexuels et manipulations perpétrés par Matthieu Koumarianos au sein de l’Eglise.

Selon plusieurs anciens membres – la plupart non chrétiens – des chorales gospel qu’il dirigeait, le comportement du pasteur était déjà un piètre témoignage de l’Evangile; il était vu par certains comme un personnage «sombre, vaniteux, manipulateur, menteur, apprenti gourou». C’était avant la révélation sur ses affaires sexuelles et que les langues se délient sur la dérive sectaire de l’Eglise qu’il dirigeait. Quant aux prières, il semblerait qu’au moins certaines aient été exaucées: depuis plusieurs années, d’anciens fidèles priaient régulièrement pour que les yeux des membres s’ouvrent, pour que la vérité éclate et que l’injustice cesse enfin.

Le courage de dire «stop»

Après avoir reçu diverses alertes, puis plusieurs témoignages écrits de femmes passées par l’Eglise racontant avoir eu des relations sexuelles avec le pasteur – dont deux encore mineures au début des faits incriminés –, le conseil de l’union d’Eglises Perspectives a décidé de mettre fin au ministère de Matthieu Koumarianos le 6 décembre, avec effet immédiat. Le 13 décembre, l’équipe pastorale de l’Eglise My Gospel Church décidait à son tour de destituer Matthieu Koumarianos de son rôle de pasteur de l’Eglise. L’Eglise a finalement été dissoute le 15 décembre, par démission de tous ses membres souhaitant se désolidariser du comportement «prédateur» de Matthieu Koumarianos.

Au cours de cette réunion du 15 décembre, deux nouvelles victimes se sont déclarées. Toutes deux, mariées et en situation de subordination vis-à-vis de Matthieu Koumarianos, confessaient des relations sexuelles avec leur pasteur. L’ensemble des membres s’estimait victime de l’emprise d’un homme qu’ils admiraient mais dont ils avaient peur. «Peur», un mot revenu à de nombreuses reprises dans les témoignages recueillis par Christianisme Aujourd’hui. Lors de préparations au mariage, le pasteur et chef de chœur conseillait aux hommes de ne pas confier ou confesser à leurs épouses d’éventuelles infidélités. Pour Mathilde, une des cofondatrices de l’Eglise, Matthieu Koumarianos était un évangéliste ou un enseignant, mais pas un pasteur. «Alors que j’étais victime de violences conjugales, il assurait que seul le sexe pouvait résoudre ce problème.»

La secte et son gourou

Comme dans un entre-soi, les anciens membres se surprenaient à critiquer – voire à mépriser – les autres Eglises, pas aussi innovantes, engagées, missionnaires ou fraternelles. Cette Eglise, largement composée de CSP+ (personnes appartenant aux catégories socioprofessionnelles – CSP – les plus favorisées en France) devenait littéralement une nouvelle famille.

Mathilde se souvient notamment d’un anniversaire qu’elle a organisé pour ses vingt-huit ans. Elle a eu le malheur de ne pas inviter le couple pastoral et deux jeunes femmes zélées, proches du pasteur, l’ont rappelée à l’ordre. Le pasteur a fait part de sa «tristesse» de ne pas être invité avant d’écrire laconiquement «ça passera» et finalement de se rendre quand même à la fête. Au-delà de l’anecdote, pour Mathilde, cet incident est révélateur de la pression psychologique et de l’emprise qu’avait Matthieu Koumarianos sur les membres. Tous lui devaient une loyauté sans faille, ce qui impliquait le silence en cas d’alertes, voire en cas de preuves manifestes du comportement déréglé du pasteur, principalement vis-à-vis des femmes. «Une loyauté pourrie», dira dépité un ancien membre du conseil d’Eglise. «On sort d’une servitude», glisse un autre ex-membre.

Contacté, Matthieu Koumarianos n’a pas souhaité s’exprimer. Auprès de ceux qui, parmi sa famille, n’ont pas coupé les ponts avec lui, il se présente comme une personne dépendante au sexe qui a besoin d’aide. A certains de ses proches, il confiait encore il y a quelques mois redouter d’être le futur Guillaume Bourin.

A ce jour, deux plaintes ont déjà été déposées et une troisième plainte collective est en train d’être constituée. Des signalements ont été déposés auprès de la plateforme Stop abus, un service d’écoute des victimes et témoins d’abus sexuels lancé en 2022 par le CNEF (Conseil national des évangéliques de France) ainsi qu’auprès de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).

L’affaire Guillaume Bourin

Hasard du calendrier, l’affaire Koumarianos a éclaté alors que l’ex-pasteur et blogueur Guillaume Bourin comparaissait devant le tribunal correctionnel de Créteil, le 17 décembre dernier. Au terme d’une audience de plusieurs heures devant une salle comble majoritairement venue soutenir la plaignante, l’accusé a été reconnu coupable d’atteinte sexuelle sur mineure de plus de quinze ans par personne ayant autorité.
Il a été condamné à huit mois de prison avec sursis simple pendant cinq ans et d’une interdiction d’avoir une activité en lien avec les mineurs pendant cinq ans. Il a toutefois été dispensé d’inscription au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), sur décision contraire du tribunal. Le recours de la victime en tant que partie civile ayant été accepté, Guillaume Bourin devra lui verser 4700 euros au total. Selon nos informations, il n’a pas fait appel.

Des témoignages qui ont mis du temps à être entendus

Ce verdict vient-il clore l’affaire Guillaume Bourin? Celle-ci était devenue publique en mars 2023, lorsqu’Evangeliques.info avait publié la mise en garde du réseau FEF déclarant ne pas soutenir son ministère, celui-ci ayant été accusé de fautes morales graves.

Dès 2020, une jeune femme avait tiré la sonnette d’alarme. Marie (prénom d’emprunt; retrouvez son témoignage sur notre site ce vendredi) avait raconté son histoire avec l’enseignant aux pasteurs de son Eglise parisienne, dans le but de l’amener à la repentance. Ceux-ci avaient à leur tour contacté les responsables de l’Eglise québécoise que Guillaume Bourin avait rejointe comme pasteur. Un processus de «restauration» avait été engagé mais les responsables, se basant sur les dires de leur collègue, n’ont pas pris le problème au sérieux. Après un été sans connexion internet pour communiquer et sans demander pardon à sa victime, il reprenait son ministère.

Les témoignages émergent, dont celui d’une jeune femme déclarant avoir subi des gestes à connotation sexuelle alors qu’elle avait dix-sept ans et lui trente-quatre, lorsqu’il était son responsable de groupe de jeunes à Montreuil (Seine-Saint-Denis). C’est cette affaire-là qui vient d’être jugée. Des pasteurs parisiens apprennent que d’autres jeunes femmes ont été victimes de harcèlement par messages, de questions et de confidences déplacées sur leur sexualité de la part de celui qui bénéficie d’une aura d’enseignant à la fois conservateur et connecté, et que ces agissements n’ont pas cessé après le rappel à l’ordre de 2020. Des faits similaires auraient eu lieu au Canada.

Des Unions d’Eglises évangéliques démunies

Lorsqu’en 2022, Guillaume Bourin rentre à Paris pour participer à une implantation d’Eglise dans le 12e arrondissement, les pasteurs lancent l’alerte face à celui qu’ils considèrent comme un loup dans la bergerie. Ils contactent l’Action biblique France, qui parraine le projet, et une confrontation en présence de l’intéressé a lieu en décembre de la même année. Se déclarant incompétents, les responsables de l’Action biblique France rechignent à prendre connaissance du dossier qui leur est présenté.

Guillaume Bourin est suspendu de son ministère, mais l’enquête piétine. La médiatisation de la mise en garde du réseau FEF déclenche une nouvelle vague de témoignages recueillis par Stop abus. Les internautes sont partagés entre ceux qui la croient et ceux qui y voient une persécution. L’Action biblique France finit par prendre connaissance des faits datant de 2018 à 2023 et se rend à l’évidence: un communiqué jugeant qu’il a «trahi sa charge pastorale» suite à des adultères numériques avec des femmes «victimes ou consentantes» est publié en juin 2023.

En réponse, Guillaume Bourin déclare sur le blog «Le Bon Combat» quitter «la scène publique évangélique avec soulagement» en niant «avoir commis le moindre abus» ni avoir été responsable d’Eglise à l’époque. Il considère le mot «victime» inadapté pour des personnes responsables à égalité avec lui dans le péché. Il annonce que la police s’apprête à classer sans suite les plaintes déposées contre lui.

«On m’a un peu volé ma repentance»

Un an et demi plus tard, il se retrouve tout de même devant le tribunal. Il s’excuse d’avoir tout nié en garde à vue et «reconnaît partiellement les faits». Le procureur note que la victime, elle, a été constante dans ses déclarations, contrairement au prévenu, qui finit par reconnaître la réalité des gestes qu’elle a décrits. Quant à son statut de responsable, des témoins décrivent son rôle majeur dans l’organisation du groupe de jeunes où a eu lieu la prise de contact avec la victime. Le président du tribunal insiste sur le fait qu’il avait alors le double de l’âge de l’adolescente et essaie de le sensibiliser à la responsabilité qui va avec.

Le verdict reconnaît une infraction pénale mais ne retient pas l’agression sexuelle, le tribunal semblant divisé sur le non-consentement de la victime. Marie, témoin au procès, estime que la justice ne voit pour l’instant qu’un incident de parcours, non une stratégie de prédation ou d’emprise. Guillaume Bourin, contraint à des aveux, conclut son audience en disant: «J’ai l’impression qu’on m’a un peu volé ma repentance.» Une phrase qui laisse les auditeurs perplexes.

David Métreau et Célia Evenson

Déceler Les Comportements dysfonctionnels

Dans Quand la toute-puissance humaine s’invite dans l’Eglise (éd. Olivétan), Edith Tartar Goddet, psychologue clinicienne et psychosociologue, alerte sur les caractéristiques des personnes en toute-puissance. De quoi effectuer une auto-analyse, car la toute-puissance ordinaire peut se manifester chez chacun.

La toute-puissance chronique doit éveiller notre méfiance: d’abord, la personne impose ce qu’elle sait; puis, elle se croit au-dessus des autres et de la loi; enfin, elle se rend indispensable. Une personne qui décèle chez soi ces penchants doit se donner les moyens – en parlant à autrui – d’être en mesure de se sentir responsable, avant de se sentir coupable. Car «se sentir coupable [est] une réaction primitive», mais «l’attitude infantile qui consiste à se sentir immédiatement coupable ou à culpabiliser autrui à la suite d’une transgression ou d’une infraction n’est pas agréée par Dieu. (…) Dieu n’est pas là pour agresser l’humain, mais l’alerter et le faire réfléchir sur ses projets et sur ses actes. Il lui demande d’exercer d’abord sa responsabilité en assumant (…) les conséquences de ses actes, et de se sentir coupable (…) seulement si l’acte commis est un grave manquement aux lois, à celles de Dieu et des humains.»  

Maude Burkhalter

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Février 2025

Dossier: Les Églises, terreau fertile des abus

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