Dernière récréation: De petites croix noires (3)
La famille qui se construit dans un écrin d’amour, ce n’était pas uniquement dans les rêves éveillés de
Marion. Clémence allait vite s’en rendre compte. D’autres éclats de rêves brisés par les accidents de la vie surgissaient de sa mémoire en alerte. Pourtant, tout avait bien commencé en ce samedi matin d’octobre. Dans les classeurs grand ouverts, tout n’était que lumière et couleurs de saison sur les petites feuilles dessinées sur les branches des arbres généalogiques.
– Ça m’a plu, maîtresse, de retrouver mes arrière, arrière, arrière-grands-parents, avait claironné Bertrand. Plus tard je serai généalogue.
– Généalogiste c’est un beau métier, avait glissé Clémence, amusée par tant de commentaires fusant de partout.
La leçon avait commencé sans elle.
– Plus tu remontes dans le temps, plus tu trouves des petites croix noires.
– Ça veut dire qu’ils sont morts!
– Mais, c’est pas normal, Charlotte n’a pas de papa, avait déploré Romain, en découvrant une petite croix noire
apparue trop tôt.
– J’ai plus de papa mais j’ai eu un papa. Il est mort il y a un an, s’était empressée de rectifier Charlotte avec une tranquillité apparente.
– C’est ce qu’il y a de plus important au monde, Charlotte, elle aussi, a eu son papa, avait renchéri Angélique.
Un premier accident de la vie venait de jeter un froid dans la classe. Et Thomas s’était engouffré dans la brèche pour libérer son cœur d’une peine
restée trop longtemps secrète.
– Mon papa, il va sortir de prison. Il a fait des bêtises mais tout ira bien
maintenant.
– Faut tourner la page pour une nouvelle, tu retrouveras un papa tout neuf, l’avait rassuré Kamel, poète en herbe.
Au regard de ces situations sensibles, Clémence s’était préparée à intervenir mais, moment de grâce comme il en existe dans ce métier, elle prenait le temps de savourer les paroles bienveillantes, guérissantes des enfants les uns envers les autres. «Des paroles justes dites au bon moment sont comme des abricots d’or avec des ciselures d’argent», affirme Salomon dans les Proverbes. Les enfants avaient su se débrouiller sans elle. Mais ça n’allait pas durer!
Un silence grandissant s’installait, présage d’une autre situation que Clémence n’avait pas anticipée. A présent, tous les regards les uns après les autres se tournaient vers Mathilde, prostrée sur son classeur, les deux mains plaquées sur ce qu’il fallait absolument cacher.
(suite au prochain épisode)
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Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui novembre 2018
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