Après un abus, se reconstruire
Un jour, un responsable d’association chrétienne croise au détour d’une rencontre, un jeune adulte qui avait autrefois participé à des activités jeunesse. Une conversation des plus banales s’engage entre les deux hommes jusqu’à ce que le plus jeune confie avoir pris de la distance avec l’Eglise mais aussi dans sa démarche spirituelle. Un doute persistait. «Ai-je été manipulé dans ma foi? Mon engagement chrétien et ma conversion sont-ils vraiment un choix personnel libre et assumé ou ai-je été “trompé”?», confiait-t-il à Pascal Grosjean, responsable animation-formation pour la Ligue pour la lecture de la Bible (LLB). «Qu’un jeune adulte questionne ses choix adolescents me semble signe de bon développement. Mais qu’il laisse émerger une suspicion sur les intentions et les techniques utilisées par de plus âgés que lui, profitant de sa fragilité, est nettement plus gênant», poursuit-il.
Des versets employés dans des contextes inappropriés
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Sylvie Duval (noms d’emprunt) est aujourd’hui une quadragénaire apaisée qui a su retrouver un équilibre et une confiance après plusieurs dizaines d’années d’emprise et d’abus de pouvoir en communauté évangélique. «J’ai grandi au sein d’une famille chrétienne chargée de beaucoup de blessures qu’il fallait taire sous ce verset: “Si quelqu’un est en Christ il est une nouvelle créature” (2 Cor. 5, 17). Par conséquent, loin d’être guéries, ces blessures se sont intensifiées.»
Pour Sylvie, ce verset était détourné de son sens et employé dans des contextes inappropriés. «Nous recevions ce légalisme, sous le feu des critiques, sans accompagnement ni compassion», témoigne-t-elle. De ses nombreuses expériences, elle dénonce le contrôle exercé par quelques responsables d’Eglise. «On veut des réussites et on s’en attribue la gloire. Mais lorsque l’histoire les dépasse, on ferme les yeux et on culpabilise. J’ai souvent entendu: c’est de ta faute si tu n’as pas réussi, tu ne pries pas assez, tu ne lis pas assez ta Bible, tu ne fais pas assez d’efforts.»
Sans aller jusqu’à parler de sectes, Sylvie Duval les décrit plutôt comme «des Eglises qui passent à côté de réalités. Elles comprennent à la lettre, mais non en Esprit», explique-t-elle.
Oser prendre de la distance
Dans des contextes bien plus graves, l’enfermement et la peur ajoutés à la violence psychologique ou physique participent à l’exercice d’abus de pouvoir et d’état de faiblesse. Myriam Declair est consultante dans le domaine de la prévention sectaire et dispense des accompagnements aux victimes de pratiques déviantes. Elle puise son expertise de son histoire personnelle et cheminement de guérison qu’elle raconte dans Se libérer d’une secte, récit, conseils et prévention (éd. JePublie).
Elle peut aujourd’hui décrire et anticiper les mécanismes d’embrigadement et d’endoctrinement des groupes sur des adeptes assujettis. «Plus jeune, je pensais rejoindre un groupe de missionnaires et servir le Christ, mais le responsable a su manipuler le groupe et je suis devenue soumise et dépossédée de jugement critique. Les dérives étaient comportementales et spirituelles. En cas de désobéissance, je tombais sous le coup de violences physiques et verbales.» Le levier de fuite chez Myriam comme chez Sylvie, a été la souffrance causée par la doctrine du mouvement. «Au bout d’un moment, c’en était trop. Ma conscience, étouffée pendant des années, a repris le dessus. J’ai mis dix ans à me libérer de ce passé et retrouver une relation personnelle avec Dieu sans influence extérieure.» Myriam décrit ces «abus» comme «sournois et destructeurs». Aujourd’hui, elle se sent reconnaissante d’y voir plus clair.
Laissons de la place au doute et à la critique
Face aux risques de dérapages, Pascal Grosjean mesure combien certains «ministères» poursuivent parfois une course au succès, à l’efficacité et à la reconnaissance. «Le risque est de ne plus considérer l’adolescent comme une personne en développement que nous respectons et accompagnons, mais comme un pion de plus, qui se joint à son groupe de supporters enthousiastes et conformes», décrit le responsable animation-formation. «Dans l’accompagnement des ados, si nous ne sommes pas prêts à laisser la place à la critique, aux doutes et au refus de suivre, si nous ne favorisons pas la réflexion qui permettra l’accès à une maturité assumée, nous risquons bien d’avoir des retours de flamme», admet-il. «Pour moi, la pire des phrases que je puisse entendre est: “Nous t’avons fait confiance et tu nous a manipulés et instrumentalisés”. Et il est possible que certains me le disent», reconnaît le responsable jeunesse.
Apprendre à tourner la page et avancer Sylvie Duval s’en sort grâce à sa foi en Jésus-Christ qui n’a pas faibli bien que sa confiance en l’Eglise ait été affectée. Loin des bancs pendant des années, elle a finalement retrouvé une communauté évangélique ouverte et chaleureuse. «Je ne pense pas qu’il est possible d’en guérir totalement, mais on peut vivre avec. Aujourd’hui je partage mon témoignage pour aider ceux qui pourraient en avoir besoin», assure-t-elle.