Apologétique: comment réagir à une provocation?
Une auberge, en banlieue toulousaine. Dans la cuisine, à table, une étudiante, que nous appellerons Amandine, engage une conversation. Elle sait que je travaille pour l’Eglise et décide de me tester: «Je crois que Jésus est venu dans le monde pour nous émanciper de Dieu.» Et nous discutons.
Ouverture au dialogue
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Je reprends son idée d’émancipation qui, bien que provocatrice, reste pertinente par certains aspects: «Evidemment, le message de Jésus est un message d’émancipation. Mais je ne le vois pas comme émancipation du Père, mais, au contraire, comme une confirmation du Père vivant et puissant qui nous libère et nous émancipe de la superstition et de toute pratique mécanique.» Et je souligne que Jésus rappelle cela en Marc 2, 6-10 et Luc 5, 21-26, lorsqu’il guérit un homme paralysé le jour du Sabbat: il lui pardonne ses péchés. Les maîtres de la loi l’accusent alors de proférer «une insulte à Dieu», car selon la tradition, Dieu seul peut pardonner les péchés.
Je poursuis ma démonstration en mettant en lumière qu’ici, Jésus libère d’une lecture réductrice de la loi. «Pour accomplir la loi, il renouvelle et actualise cette loi, en expliquant: “Le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de pardonner les péchés.” Il adresse ces mots au paralysé: “Je te le dis, lève-toi, prends ta natte et rentre chez toi.” L’homme se lève, prend sa natte et rentre chez lui. Ce miracle s’accomplit parce que Jésus est le Fils de Dieu. Dieu est devenu homme en Jésus pour actualiser son alliance avec le peuple d’Israël. La vie de Jésus actualise la loi offerte à Moïse et au peuple élu, à travers une nouvelle lecture, parfaitement adaptée à la société et au monde dans lesquels vivent Jésus, ses disciples et le peuple d’Israël.» Bref, cette interpellation provocatrice d’Amandine m’a donné l’occasion de lui témoigner de Jésus. Pourtant, il serait tellement plus confortable d’esquiver ce genre de piques ou de les ignorer.
Une thèse bien construite
Mais réagir à une provocation nécessite deux postures. Tout d’abord accepter d’échanger sur ses convictions avec l’autre, ouvrir la porte à l’enseignement et ainsi à la vérité de Jésus. Il s’agit par ailleurs de percevoir - même dans la provocation - que l’autre est potentiellement à la recherche de Dieu et qu’il nous interroge pour entendre la vérité de Dieu. Une provocation peut même parfois être un blasphème. Jésus nous rappelle (Mat. 12, 31 et Luc 12, 10) que le blasphème est pardonnable. Il rappelle que le seul péché qui n’est pas pardonnable est le péché contre le Saint-Esprit. C’est pourquoi, il nous faut - quand cela est possible - répondre à une provocation, même blasphématoire et engager le dialogue, ce à quoi je vous encourage dans cette tribune. Ainsi, réagir ouvertement à une provocation peut transformer l’autre et être le moment où - selon la parabole du bon Semeur (Luc 8, 4-15) - la semence tombe dans la bonne terre, les plantes poussent et leurs épis portent chacun cent grains.
Au cours de la discussion avec Amandine, j’ai développé la méthodologie des exégètes: une règle du travail scientifique consiste à citer les textes sur lesquels vous appuyez votre thèse. Par exemple, si je tiens à faire la démonstration que Jésus est le Fils de Dieu, je pourrais, par exemple, m’appuyer sur la prière que Jésus nous a enseignée, car dans cette prière, nous reconnaissons la puissance de Dieu le Père: «Notre Père, qui es dans les cieux, que chacun reconnaisse que tu es le Dieu saint, que ton règne vienne. Que chacun, sur la terre, fasse ta volonté comme elle est faite dans le ciel» (Mat. 6, 9-10). Je pourrais aussi citer le double commandement de l’amour (Mat. 22, 34-40): ici, Jésus nous enseigne que l’amour de Dieu et l’amour de mon prochain sont un même amour: «Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence.» Et «Tu dois aimer ton prochain comme toi-même.»
L’exemple de Paul
Il est judicieux de proposer des accroches dans la discussion. Ces accroches permettent de parler en confiance. Ensuite, si la confiance est bonne, la discussion devient stable et solide. Sur cette base, on pourra, dans un troisième temps, développer une argumentation chrétienne. L’apôtre Paul livre de beaux exemples pédagogiques: ainsi devant l’Aréopage, Paul accroche ses interlocuteurs avec une inscription dans le temple athénien et les invite à entrer dans la voie chrétienne. Cette inscription dédie le temple «à un dieu inconnu». Et Paul explique que ce dieu qu’ils adorent sans le connaître, il vient le leur annoncer. Dieu appelle maintenant tous, en tous lieux, à changer de comportement (Actes 17, 23-31).
Ce discours est un exemple de pédagogie: Paul expose la doctrine chrétienne avec rigueur, douceur et empathie. Il invite les aréopagites à lire l’inscription du temple dans le sens eschatologique, mais il accepte aussi le fait qu’à la fin de son discours, seulement un petit groupe rejoint la communauté chrétienne, alors que les autres restent fermés à la Bonne Nouvelle et que certains se moquent de lui (Actes 17, 32-34). Cette prédication a du succès car «quelques-uns, pourtant, se joignirent à lui et crurent: parmi eux, il y avait Denys, membre du conseil de l’Aréopage, une femme nommée Damaris et d’autres encore» (Actes 17, 32-34). Répondre à une provocation, même gravée dans le marbre comme cette mention à ce dieu inconnu peut porter du fruit!