Un an au Cameroun raconté sur des planches de dessin
Si le visage de Romain Choisnet est connu dans le milieu évangélique, c’est notamment à cause ou plutôt grâce à ses fonctions de directeur de la communication du Conseil national des évangéliques de France (CNEF). Ce que l’on connaissait moins, c’est sa casquette de dessinateur. Pourtant, elle gagnerait à l’être. Sous le nom d’artiste Manior, il propose dans Les Deux pieds en Afrique (éd. Scriptura), un carnet de voyage sous forme de roman graphique, plein d’humour, de fraîcheur et de découvertes. A travers cet ouvrage-témoignage, Manior et son épouse Maya racontent leur volontariat d’un an au Cameroun avec l’organisation missionnaire Wycliffe pour soutenir des projets de traduction de la Bible.
A mi-chemin entre les carnets Les Chroniques de Jérusalem (éd. Delcourt) de Guy Delisle et Le Retour à la terre (éd. Dargaud) de Jean-Yves Ferri et Manu Larcenet, le récit est certes personnel et léger mais aussi informatif notamment sur le décalage culturel entre Europe et Afrique, sur la situation du Cameroun et le contexte de traduction de la Bible.
Pour en parler, le rendez-vous a été pris sur zoom un matin de septembre. Cette fois-ci, ce n’est donc pas avec Romain Choisnet mais avec Manior, son double, que l’entretien va se dérouler.
D’une anecdote à l’autre
Publicité
Jeunes mariés, Maya et Manior s’envolent pour le Cameroun en 2014. Ils sont formés, soutenus et envoyés par le Défap - service protestant de mission - et attendus sur place par des associations de traduction biblique pour les aider à mieux communiquer. «Dès l’aéroport de Paris, j’ai commencé à prendre des notes dans un petit carnet. C’est d’abord assez introspectif, puis j’ai commencé à y noter des anecdotes», relate Manior. «J’ai rédigé mon carnet de bord au fur et à mesure de l’année de volontariat. Puis j’ai eu envie de dessiner.»
Avec des artisans sur place, il fabrique une table de dessin lumineuse et commence à griffonner une succession de petits gags inspirés de son vécu: la négociation au marché, les différences de traitement entre les femmes et les hommes, la corruption endémique, la générosité exceptionnelle ou l’insistance pour que les couples mariés aient rapidement des enfants.
«La succession de tout ça raconte une histoire de vie. Avec parfois quelques exagérations.» A la fin de leur séjour, Manior et Maya repartent avec plus de cent planches de dessin dans leurs valises, déjà colorées à l’encre de Chine. «Pendant cinq ans c’est resté lettre morte dans un carton jusqu’à fin 2020.» Le Défap a alors envoyé un courrier à tous les anciens envoyés pour recueillir des témoignages pour les cinquante ans de la mission qui ont eu lieu en 2021.
Vient alors à l’idée de Manior d’enfin faire quelque chose de ses dessins, carnets de notes et des photos de Maya. Sauf que le Défap n’est pas une maison d’édition. C’est le cas de l’Alliance biblique française, qui fait de la traduction et possède la maison d’éditions Scriptura. «Le projet prend alors forme. Les planches sont reprises et retravaillées. On a repris nos notes pour en faire un livre un peu atypique qui mêle bandes dessinées, photos, récits et schémas.»
La traduction pour première mission
Si le contexte local a évolué depuis 2014-2015, Les Deux pieds en Afrique dresse le récit de troubles naissants en Afrique occidentale. «On était dans le pic des tensions liées à Boko Haram. Tous les départements du nord du Cameroun étaient classés en zone rouge par le ministère français des affaires étrangères. On entendait régulièrement des récits d’attaques de villages.» Manior poursuit: «La traduction de la Bible est un domaine où il y a un fort enjeu spirituel. Il y avait de nombreux morts, des malades et des problèmes parmi les traducteurs de la Bible en langue locale.» Lui-même ne s’est pas rendu dans ces zones à risque, ou alors avec beaucoup de prudence. «Au niveau des violences, le relais a depuis été pris par la guerre civile entre les zones anglophones et francophones du pays», note le dessinateur.
L’effort de traduction biblique se poursuit dans 150 langues locales. «C’est inadmissible que quelqu’un ne puisse pas lire sa Bible dans sa propre langue», s’indigne Manior, qui se sent concerné par cette mission depuis ses douze ans et la rencontre d’un missionnaire de l’organisation missionnaire Wycliffe lors d’une colonie de vacances.
Lors de leur volontariat, Manior et Maya étaient les seuls Occidentaux de l’équipe. «C’est ce qui nous a intéressé. Tout est géré par des Camerounais. Nous n’apportions que des compétences ponctuelles. En termes de traduction, c’est plus efficace de trouver les moyens humains chez les locuteurs locaux. Des livres entiers de la Bible peuvent ainsi être traduits en deux ou trois jours. La mentalité est la suivante: on aide la communauté à se prendre en charge elle-même. Vous voulez la Bible dans votre langue? Vous allez le faire, mais on va vous aider. C’est une vision qui est de l’ordre de l’idéal. Mais est-ce de l’ordre du réalisable à toutes les échelles? Est-ce qu’on est prêt à aider financièrement?»
Ce qu’il retient de son voyage?
Pour son premier voyage en Afrique, Manior a pu compter sur une formation d’une semaine avec le Défap. «Un des intervenants a posé cette question: “Si vous partez, quel objet symbolique emporteriez-vous pour vous sentir chez vous?” Pour moi, c’était ma petite théière rouge. Ça a bien marché. Le Défap a été très fort sur ces conseils pour appréhender le choc culturel et le mal du pays.» Cette expérience de volontariat a formé Manior et Maya dans leur couple. «On a développé les mêmes valeurs sur l’accueil, l’humilité et l’interculturalité. Il s’agit de vivre la rencontre, la générosité et l’hospitalité.» De toutes les anecdotes vécues au Cameroun, Manior retient surtout l’une d’elles qui lui a enseigné une grande leçon «même si ça n’a duré que quelques minutes». «Avec un ami Camerounais nous sommes allés visiter un de ses lointains cousins et nous sommes repartis avec une poule vivante, qui représente la viande de la semaine. Cette générosité-là me choque. Certes on offrait toujours quelques bricoles dans le village. Mais la générosité des gens, ce cadeau qui représente un vrai sacrifice me questionne. Qu’est-ce qu’être généreux? Je crois qu’en Europe on en n’a pas vraiment idée.»