Lettres à Théophile

Je te remercie pour ta réponse à ma lettre du mois dernier. Tu m’y reproches de voir la diversité, particulièrement en ce qui concerne l’Eglise, d’un œil trop positif. Les différentes confessions chrétiennes affirment des préceptes et des doctrines qui se contredisent souvent. Comment justifier ces différences sans tomber dans une forme de relativisme?
J’aimerais, pour te répondre, te rappeler un texte biblique: le dialogue de Jésus avec la Samaritaine en Jean 4. Reconnaissant en Jésus un prophète, la Samaritaine profite de l’occasion pour l’interroger: faut-il adorer à Jérusalem comme les Juifs ou bien sur la montagne (probablement le mont Garizim), comme les Samaritains en avaient la coutume?
A cette question qui ne suppose que deux réponses possibles, Jésus en avance une nouvelle: ce n’est ni à Jérusalem, ni sur la montagne qu’il faut adorer, il faut adorer «en Esprit et en vérité». Cette réponse élargit en même temps qu’elle restreint: dans le temps qu’annonce Jésus (qui est désormais le nôtre), il ne faut pas se trouver en un lieu ou une communauté déterminés pour adorer Dieu. L’exigence s’est déplacée: autrefois conditionnée extérieurement, l’adoration l’est désormais intérieurement. Elle n’est plus une observation de préceptes ou de rites, mais le fruit d’une communion entre Dieu et le croyant, par l’intermédiaire du Saint-Esprit.
Dans leur souci de manifester une unité visible, les chrétiens ont trop souvent ignoré ce principe simple, naviguant entre exclusivisme et relativisme. Quand l’on ne cherche pas à éliminer ou convertir l’autre, nos stratégies «œcuméniques», si essentielles et enrichissantes soient-elles, ressemblent plus à des échanges diplomatiques qu’à la manifestation d’une réelle unité.
Pourtant, si l’unité authentique est celle qui relie les adorateurs en «Esprit et en vérité», alors il devient difficile de délimiter une telle communauté. Seul Dieu peut sonder les cœurs.
Souviens-toi de la première béatitude: le Royaume est promis aux «pauvres en Esprit». Reconnaître sa pauvreté spirituelle, c’est reconnaître ses limites et ses conditionnements culturels, sociaux, mais aussi ecclésiaux. Et c’est sur ce terreau fertile que l’Esprit peut agir pour nous faire entrer dans une unité qui les dépasse et les transcende.
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