Il y a des mois, des années peut-être, que chaque soir il vient là, à la porte du jardin. Alors que le soleil descend lentement vers l’horizon, il s’assied sur le banc et lève son regard sur le chemin qui serpente au loin. Les gestes sont immuables. Ils semblent inscrits dans son être, comme les rides barrant son front le sont dans sa chair. Chaque soir, une force inconnue le pousse vers cette attente jamais récompensée et toujours renouvelée.
Autour de lui, ses proches s’interrogent. Quand cessera-t-il enfin? Quand se rendra-t-il à l’évidence? Car il ne faut pas se fourvoyer dans de fausses illusions; il ne reviendra pas, le fils perdu. Il a fait son choix, c’est sa vie, sa liberté! Il faut que le père se fasse une raison, qu’il accepte que, parfois, il en va ainsi dans la vie. Il faut qu’il découvre que la réalité est plus cruelle que les contes de fées et que les histoires ne finissent pas toujours bien.
Mais le père ne sait pas se faire une raison! Sinon, il ne serait pas le Père. Alors, il continue d’espérer, d’espérer pour cet enfant perdu, écroulé dans la boue du chemin. Il continue de croire pour lui et en lui. Car il sait bien qu’au-delà des blessures, des révoltes de la vie, et même des vices, il y a le formidable potentiel de la vie, l’extraordinaire générosité de l’amour.
Quand enfin l’enfant arrive, silhouette fragile sur le chemin qui serpente, il ne voit pas les habits troués, la crasse sur le visage. Il ne sent pas l’effroyable puanteur du corps mal soigné. Emerveillé, il voit la beauté de son enfant qui rentre à la maison. Il entend les chants et les danses, les rires retrouvés. Il découvre dans la silhouette incertaine les gestes sûrs qui construiront l’avenir, l’assurance tranquille d’un homme qui a trouvé son destin et qui se sait aimé.
C’est pourquoi, chaque soir, alors que le soleil lentement descend vers l’horizon, il vient m’attendre à la porte du jardin…

Pierre-Yves Zwahlen

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui – juin 2013

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