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IVG: quand on sort des guerres de tranchées

© Istockphoto
Le débat suscité par l’Ivg n’a rien de nouveau. Et si l’on y répondait différemment? Enquête en deux temps.
John Bainbridge

Dans le monde, 73 millions d’avortements sont réalisés chaque année, selon les estimations de l’OMS. Pour 1000 femmes, la France réalise 17 interruptions volontaires de grossesse (IVG) par an, la Suisse 7, la Russie 54 et les Etats-Unis 21.

Le débat ne date pas d’hier

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La question de l’avortement est ouverte depuis des millénaires, même si les arguments et méthodes ont évolué. Aux époques gréco-romaines, l’avortement pouvait être interdit pour une femme puisqu’elle aurait privé son mari de sa progéniture, alors que Platon y était favorable afin de préserver une population de taille idéale.

Quant à un âge d’embryon inacceptable pour un avortement, Aristote attribuait l’âme humaine à quarante jours pour un fœtus masculin et à 90 jours pour un fœtus féminin. Difficile de savoir comment il était alors possible de distinguer le sexe sans scanners ni échographies! Toujours chez les Grecs antiques, les stoïciens associaient le fœtus à une sorte de plante qui ne prenait vie qu’à la naissance, tandis que pour les pythagoriciens, la vie démarrait dès la conception! Un débat qui ne date donc pas d’hier.

Une fois fondée, l’Eglise est porteuse d’autant de diversité. Le Didachè, premier texte chrétien préservé extra canonique, qualifie l’avortement de meurtre: «Tu ne tueras point l’enfant par avortement», mais la question de quand l’embryon devient enfant reste toujours ouverte. Certains Pères de l’Eglise, comme Grégoire de Nysse, affirment que la vie est sacrée dès la conception alors que Saint Augustin et puis plus tard Thomas d’Aquin inclinent vers la pensée d’Aristote et ses niveaux d’âme: végétal, animal et rationnel. Selon cette même pensée, l’embryon rejoindrait son âme humaine rationnelle à un moment assez imprécis pendant la grossesse après lequel une privation de vie deviendrait homicide et punissable. En suivant cette trajectoire, les peines associées aux avortements pendant le Moyen Age s’aggravaient en fonction du moment de la grossesse.

La pensée de Thomas d’Aquin reste la norme pour l’Eglise catholique jusqu’en 1869 alors que cette dernière supprime la condition de «fœtus formé» pour la sanction d’excommunication en cas d’avortement. La fondation a donc été posée pour le rôle de l’Eglise catholique, qu’on retrouve aujourd’hui dans le plaidoyer pour les droits de l’enfants dès la conception. Et cette fondation persiste face à des avis contraires, comme par exemple celui de la Fédération protestante de France, qui réserve l’IVG à une solution de dernier recours. A l’heure actuelle, c’est aux Etats-Unis que le sujet est autant clivant qu’omniprésent dans les médias, avec un changement fulgurant en pleine préparation.

Sujet sensible aux états-unis

Ainsi, après cinquante ans de reconnaissance d’un droit des femmes américaines à l’avortement, la Cour suprême des Etats-Unis est sur le point d’opérer un renversement historique en prévoyant d’annuler l’arrêt Roe v. Wade, qui avait ouvert le droit à l’avortement aux Etats-Unis le 22 janvier 1973. Selon une étude de 2019 menée par trois chercheuses en gynécologie, sur un an, 120 000 femmes pourraient ne plus accéder à l’avortement suite à une éventuelle annulation de cet arrêt. En effet, il pourrait entraîner une interdiction de l’IVG dans dix à vingt Etats.

Certaines femmes enceintes porteraient donc à terme une grossesse qu’elles auraient voulu interrompre. Une autre partie des femmes pourraient se tourner vers des avortements clandestins dangereux pour la santé, redoutent les doctoresses Caitlin Myers, Rachel Jones et Ouchma Upadhyay. Selon elles, des inégalités verraient le jour car une troisième partie des femmes, avec plus de moyens, se déplaceront vers d’autres Etats ou pays où les lois seront encore permissives. Les Etats-Unis restent un pays sensible à une forte influence politique des dénominations protestantes évangéliques. En Europe, l’influence chrétienne fait face à des interrogations profondes. En Pologne, par exemple, pays de trente-trois millions de personnes baptisées catholiques, les avortements n’ont quasiment plus lieu, sauf en cas de viol, d’inceste ou de mise en danger de la vie de la femme alors qu’à Malte, l’interdiction est totale. La Croatie, également majoritairement catholique (86%) n’autorise les interruptions volontaires de grossesse (IVG) que jusqu’à dix semaines, avec une tendance à la baisse. Dans les faits, trouver un médecin croate volontaire pour procéder à un avortement devient de plus en plus difficile.

L’IVG dans le monde

Dans d’autres pays, les décisions concernant l’avortement se positionnent à l’inverse, toujours avec des frictions. En janvier, le président français Emmanuel Macron réagissait à l’élection d’une maltaise, Roberta Metsola, à la tête du parlement européen (elle est opposée à l’IVG). Le lendemain, il annonçait son souhait de faire instaurer une modification à la charte des droits fondamentaux des Européens afin d’y inscrire le droit à l’avortement. Le 2 mars, le Parlement français adoptait une loi augmentant la durée autorisée pour procéder à une IVG de douze à quatorze semaines, alignant sa législation sur celles de l’Espagne et de l’Autriche.

Aussi légère qu’elle puisse paraître, cette augmentation de deux semaines permet donc a priori des choix fondés aussi sur le sexe qui devient détectable à l’échographie. Certains, comme le pasteur Jean-Luc Tabailloux, délégué départemental du CNEF en Isère, craignent que cette connaissance puisse inciter à des avortements sélectifs et à des «féminicides» en France tels que l’on peut en observer ailleurs dans le monde, comme en Inde. Dans ce pays, on estime qu’entre 2017 et 2030, près de sept millions de fœtus féminins ne naîtront pas, simplement en raison de leur sexe, alors que cette pratique est illégale.

Dans d’autres pays encore, on voit des prolongations bien plus importantes de l’accès à l’IVG. Ainsi, en mars, la Colombie adoptait une loi visant à décriminaliser les IVG jusqu’à vingt-quatre semaines de grossesse. Cela signifie la libération de dizaines de femmes incarcérées. Par ailleurs, les partisans de cette loi espèrent que le chiffre annuel de 70 Colombiennes qui mourraient jusqu’alors par avortement clandestin soit ramené à zéro.
Alors que les camps sont délimités, toute aspiration à donner le dernier mot semble relever de la fantaisie. Oui, le dialogue a pu faire émerger des nouveaux objectifs communs, tels que celui de réduire le nombre d’avortements, mais globalement les positionnements restent toutefois bien tranchés. Quelle souffrance le débat cache-t-il? Peut-on ou devrait-on la mettre de côté?

Dans tous ces pays, une seule tendance reste claire: l’avortement est un sujet à la fois politique et intime, international et pourtant personnel. Et cela fait bouillonner. Difficile de trouver un terrain d’entente et un point d’équilibre. L’humanité semble chercher à trouver une éthique commune et une pratique juste à travers une multitude de voix discordantes; d’où cette crise sans fin. Mais pour quel objectif réel? Quelle souffrance cache le débat? Et quelle action chrétienne, mise à part la condamnation habituelle?

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Juillet – Août 2022

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