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Etats-Unis : Les Eglises «sans étiquette» en pleine croissance

© Wikipedia
Un Américain sur quatre se dit évangélique. Si les baptistes conservent un poids majoritaire aux USA, les Eglises non-dénominationnelles (ND) poursuivent leur croissance, que rien ne semble arrêter. Analyse.

Entre 2000 et 2017, les protestants sans étiquette sont passés de 9 à 17% aux USA, d’après le dernier sondage Gallup. Aux baptistes, méthodistes et pentecôtistes s’ajoutent ces Eglises d’obédience évangéliques non-affiliées à un mouvement dénominationnel. En 2010, elles représentaient la troisième confession chrétienne en terme de membres aux Etats-Unis, profitant du déclin des Eglises protestantes principales, baptistes et méthodistes.

Retour à l’identité chrétienne

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Certes les non-dénominationnelles (ND) n’affichent pas d’étiquette, mais certaines sont identifiables par leur format de «megachurches», issues pour beaucoup du mouvement néo-charismatique. Pour Christophe Chalamet, professeur en théologie systématique à la Faculté Protestante de Genève, ces Eglises mettent un accent fort sur la pastorale des jeunes et usent des formes culturelles ambiantes de la culture nord-américaine (musique, etc.). Le professeur genevois explique par ailleurs le désintérêt de la jeune génération pour les identités confessionnelles historiques «perçues comme trop molles et trop lourdes de par leur ancrage historique». Il poursuit: «On idéalise alors ces communautés car ce qui leur importe, c’est l’identité chrétienne. Elles cherchent simplement à vivre l’Evangile de Jésus-Christ.»

Le dominionisme fleurit

Une des figures contestée mais incontournable de ces communautés ND est bien Peter Wagner, précise Jean Decorvet, recteur de la HET-PRO et professeur en théologie systématique. «Il a initié un mouvement durable autour de la question des cinq ministères en réinterprétant le ministère apostolique notamment. Sans commission ni synode qui s’immisce dans les affaires de l’Eglise, celui-ci peut vite fonctionner sans contre-pouvoir et glisser vers l’individualisme et un positionnement hiérarchique qui glorifie la vision de “l’apôtre” seul.»
Théologiquement, le dominionisme a fleuri dans ces milieux et gagne du terrain jusque dans les Eglises ND ici en Europe, précise encore Jean Decorvet. D’autres points doctrinaux sont par ailleurs revisités, comme la conception de la trinité: «L’Esprit Saint n’est pas considéré comme une personne mais interprété de manière modaliste, comme un mode d’intervention de Dieu le Père.» Selon le théologien, ces Eglises ne s’embarrassent pas de considérations théologiques et visent le succès. «Si j’invoque l’Esprit Saint, et si cela fonctionne, c’est le plus important», poursuit-il.

Pour quelle liberté

La culture de la performance et de la puissance de ces Eglises issues de milieux pentecôtistes pour certaines y est très marquée, observe Jean Decorvet. «Les pasteurs profitent du phénomène de “starisation” de leur personne. On quitte une Eglise pour une autre ND, pour suivre une personne qui a du succès sans les entraves de la communauté précédente. Cet accent sur l’entrepreneuriat individuel est propre à la culture américaine.» Fin observateur de la vie politique et religieuse outre-Atlantique, le professeur de théologie systématique les décrit comme composées par une majorité de femmes. Et de s’interroger sur la liberté que leur offrent ces Eglises non-dénominationnelles en comparaison de ce qui existe ailleurs. Paula White, pasteure et conseillère spirituelle de Donald Trump en est une bonne illustration. Mais si plusieurs des collaborateurs du locataire de la Maison Blanche sont issus de ces Eglises ND comme Kenneth Copeland, influencé par le mouvement de la prospérité, «toutes ces communautés ne sont pas forcément composées des partisans fanatiques du Président. Il y a aussi une aile “progressiste”», précise Christophe Chalamet. «Le rapport entre convictions religieuses et politiques s’est radicalisé et va laisser des plaies ouvertes», poursuit Jean Decorvet. «Les fronts se durcissent et l’intelligentsia américaine, plutôt critique vis-à-vis du pouvoir actuel, vit des temps de désillusion.»

Polarisation transcendante

L’Eglise Béthel s’est ainsi affranchie de la Southern Baptist Convention (SBC) qu’elle juge «trop conservatrice» et trop «dogmatique», tout comme l’Eglise du même nom de Redding, qui s’est retirée des ADD. Le Wheaton College prend soin de préciser, avant chaque élection, que «Dieu n’est ni républicain ni démocrate», quand Russell Moore reste un membre influent mais très critique envers Donald Trump au sein de la SBC. «Les conservateurs tentent de s’affranchir du Président, mais comment développer une pensée chrétienne au sein d’une telle polarisation qui puisse transcender les partis?» ajoute Jean Decorvet.

Autre point d’achoppement, les nombreux responsables qui participent à la théologie du dominionisme, appuie le recteur de la HET-PRO. «Leur ambition est d’amener à la foi différentes sphères de la société qui sont ciblées en vue de l’avènement d’une société chrétienne.»
Un mouvement qui explique, selon lui, en partie, le vote en faveur de Donald Trump. «Le mirage est de croire que l’Amérique est chrétienne et doit être une nation chrétienne. Ce faisant, les partisans de la théologie du dominionisme confondent religion civile plus ou moins imbibée de valeurs chrétiennes et “Royaume de Dieu”, et renvoient l’image d’un mouvement visant la conquête du pouvoir. Une image pourtant aux antipodes des origines historiques du mouvement» conclut-il. Reste que ces Eglises «champignons» continuent de croître.

Dossier: Elections Etats-Unis 2020
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