Skip to content

Détenus et victimes se rencontrent, à l’écran comme dans la réalité

© Allociné
Dans un long-métrage sorti fin mars, la réalisatrice Jeanne Herry met en scène la justice restaurative, une mesure prévue par la loi française depuis 2014: afin de parvenir à une totale restauration, des condamnés entrent en contact avec des victimes...
Valérie Revelut

Œil pour œil, dent pour dent. La loi, dans l’Ancien Testament, nous enseigne que chaque délit impose une réponse égale pour réparer ou remplacer l’outrage. Dans le Nouveau Testament, la grâce de Dieu offre le pardon lorsque quiconque reconnaît ses fautes et s’en repent. A l’époque actuelle, la justice des hommes est appliquée par l’Etat. Elle punit pour réparer l’entorse faite à ses lois et prévoit la prison lorsqu’il faut isoler le coupable. Dans ce milieu carcéral, il pourra suivre divers programmes pour se réinsérer. Et lorsqu’un prisonnier est libéré, on dit qu’il a payé sa dette à la société, ce qui est pourtant inexact.

Contrairement à ce que l’on croit, le débiteur de ladite dette n’est pas la communauté, mais l’Etat. Pour que le contrevenant puisse être pardonné, et le ressentir au plus profond de son être, il doit emprunter le chemin de la repentance. C’est ce que peut apporter la justice restaurative.

Une mesure prévue par la loi française

Publicité

Grâce au long-métrage de Jeanne Herry, «Je verrai toujours vos visages», ce processus de restauration totale est mis en lumière avec beaucoup de sensibilité. Le film montre trois détenus acceptant de participer à des séances d’échanges avec trois personnes victimes du même type d’agression que celui pour laquelle ils ont été emprisonnés. Si les débuts sont orageux, la souffrance partagée permet enfin la compréhension des infracteurs. La reconnaissance du préjudice par les délinquants permet la guérison en obtenant le pardon des victimes.

«Dans la médiation, la plupart des cas ne vont pas jusqu’à la vraie rencontre entre l’auteur et la personne qu’il a lui-même agressée, mais ce qui compte, c’est le parcours», explique la réalisatrice Jeanne Herry dans un entretien proposé dans son dossier de presse. «Les dossiers sont ouverts et le dialogue s’engage par le biais des entretiens avec les médiateurs même si l’auteur et la victime ne se rencontrent pas physiquement. Dès lors, on ne peut pas parler d’échec.»

La justice restaurative est une mesure prévue par une loi française (15 août 2014) d’après une directive de l’Union européenne. Elle permet une meilleure réinsertion et une diminution de la récidive. Mais tout l’intérêt d’en parler ici est que la reconnaissance du péché et la demande de pardon nous renvoient au plan du salut.

Zachée en inspiration

Dans ce contexte de restauration, l’Américain Charles Colson a joué un rôle. Il a été l’un des conseillers du président américain Richard Nixon lors de l’affaire du Watergate, en 1974. Réputé extrémiste dans ses recommandations, il a été emprisonné après la chute du président. C’est en prison qu’il rencontre Dieu et se convertit. Lorsqu’il retrouve la liberté, fonde Prison Fellowship afin d’aider ses anciens codétenus. L’association a créé le programme Sycomore, qui participe à la justice restaurative, mais se positionne en amont, avec une connotation chrétienne. Ce procédé s’appuie sur l’histoire de Zachée (Luc 19). Héros touchant des Evangiles, l’homme se reconnaît pécheur, une étape que beaucoup refusent. Trop petit pour être vu, il grimpe sur un sycomore. Lorsque Jésus l’apostrophe, le publicain annonce sans préambule sa condition de pécheur et la réparation des fautes qu’il compte opérer.

Redonner une identité aux condamnés et aux victimes

En France, c’est l’association chrétienne A cœur ouvert qui applique le programme Sycomore dans les prisons, en partenariat avec l’Administration pénitentiaire. Constituée de bénévoles formés, elle se déroule en une session de six séances, un programme durant lequel les volontaires entreprennent un chemin difficile mais salutaire. En Suisse, c’est Prison Fellowship Suisse qui travaille au sein des établissements pénitenciers. Lorsque la justice est aveugle et déshumanise le contrevenant pour juger avec la rigueur nécessaire, Sycomore redonne tout d’abord une identité à l’ensemble des parties concernées. Le but ultime est de briser la mécanique du crime, en rencontrant, responsabilisant et restaurant. C’est finalement la puissance du pardon mis en œuvre. Jeanne Herry poursuit: «Les résultats sont spectaculaires. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux cercles de rencontres détenus-victimes, j’ai vraiment cherché à comprendre pourquoi cette préparation des uns et des autres, puis ces quinze heures de rencontres, à raison de trois par semaine, pouvaient aboutir au fait qu’à la fin, les participants se prennent dans les bras. Pourquoi ça marchait?»

Dans ce film sorti dans les salles fin mars, on suit Nassim, Issa et Thomas, les condamnés, dans leurs rencontres avec Grégoire, Nawelle et Sabine, les victimes. Tout comme dans la réalité, ces rencontres sont encadrées par des professionnels et des bénévoles, représentés à l’écran par les personnages de Judith, Fanny et Michel. On suit également le parcours de Chloé, victime d’inceste, qui décide elle aussi de s’engager vers la justice restaurative.

«En étudiant ce processus, cette dentelle, je me suis dit que ça ne pouvait pas ne pas marcher», reprend la réalisatrice. «Mais tous ceux qui participent à ces expériences – victimes, détenus, encadrants – ont un mot qui revient sans arrêt pour les décrire. Ils disent: “C’est puissant, très puissant.” C’est un processus ultra-dynamique. Tout le monde bouge, répare et se répare, se répare en réparant les autres, par petites touches, ça travaille, quoi!»

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mai 2023

Thèmes liés:

Publicité