Chirurgie esthétique: entre complexes, idéaux et éthique chrétienne
«Avant la pandémie, je n’aurais jamais pu prendre deux ou quatre semaines de congé pour me remettre discrètement d’une opération de chirurgie esthétique. Maintenant, je ne me rends plus au bureau pour travailler, je peux donc faire les opérations dont j’ai envie.» Catarina a quarante-huit ans et ne cache pas son usage de la chirurgie esthétique. «Durant le confinement, j’ai été chanceuse, mon revenu a augmenté. Au sortir de la pandémie, il est donc temps de prendre soin de moi.»
Catarina est l’une des nombreuses personnes (hommes et femmes) interrogées par Chiara Pussetti, anthropologue à l’Institut de Sciences sociales de Lisbonne (ICS-UL), dans le cadre d’une étude intitulée «Une réponse esthétique à l’anxiété de la pandémie» publiée en mars de cette année.
Si le sujet de la chirurgie esthétique est encore tabou chez les chrétiens, certaines célébrités comme Joyce Meyer ont admis ces dernières années y avoir recouru. Dans un contexte d’après-covid, ces interventions cosmétiques sont-elles un moyen neutre de surmonter un complexe ou une entrave à la création divine? Parmi les chrétiens, les avis divergent. Certains contestent même la reconstruction mammaire après un cancer. Bien entendu, le sujet implique de se mettre à la place des autres, comme il importe de saisir l’importance pour la plupart des femmes de retrouver un sentiment de féminité après une mastectomie.
La blogueuse Shelly Beach explique dans un article publié par Christianity Today que leurs amis les ont soutenus, quand elle et son mari ont choisi la chirurgie esthétique pour leur fils de deux ans qui s’était accidentellement brûlé la bouche. Mais des amis chrétiens ont douté de son intégrité spirituelle quand elle a choisi, vingt ans plus tard, de restaurer les proportions de son corps après une perte de trente-cinq kilos. «La chirurgie esthétique est une poursuite de la vanité et de la superficialité», lui a-t-on objecté.
Publicité
Nouvelle perception du corps
Ces dernières années, le covid a révélé un nouveau rapport à la chirurgie. «Traverser une pandémie a eu pour conséquence des changements drastiques dans notre routine, y compris nos soins quotidiens et la perception que nous avons de notre corps», commente Chiara Pussetti. Alors qu’avec la pandémie et les confinements, on aurait pu s’attendre à une baisse du recours à la chirurgie esthétique, l’effet inverse s’est produit. «Au sortir de la pandémie, de nombreux chirurgiens esthétiques témoignent d’une véritable “crise Zoom”. Leurs clientes se plaignent de leur apparence sur Zoom», observe l’anthropologue, toujours dans son étude. «Alors que l’être humain a besoin d’interaction avec d’autres êtres humains, la pandémie nous a forcés à nous centrer sur nous-mêmes», continue l’anthropologue. Un phénomène d’ailleurs exacerbé par les filtres que proposent les réseaux sociaux lors de la prise d’un selfie.
La création: statique ou dynamique?
Mais la volonté de surmonter un complexe ne pourrait-elle pas conduire à contester la création divine? Pour Olivier Nkulu Kabamba, docteur en bioéthique et auteur de La chirurgie esthétique et la dignité du corps humain: recherche en philosophie de la médecine (éd. L’Harmattan), la question dépend de l’angle sous lequel on aborde la Création: s’agit-il de considérer l’œuvre divine «comme une donnée statique ou une donnée dynamique?»
Selon lui, si l’on opte pour la première réponse, «alors la chirurgie esthétique est une atteinte à la volonté divine, toute tentative de lui refaire une beauté est une abomination». Mais, explique-t-il, «si nous voyons la Création comme une donnée dynamique, alors la chirurgie esthétique participe à cette dynamique divine. Dieu continue sa création à travers l’œuvre humaine et celle de la nature.» Une question qui, souligne-t-il, se pose depuis la nuit des temps, l’être humain ayant toujours voulu s’embellir.
Pour des raisons évidentes, la Bible ne dit rien sur le sujet, et chacun se fait son idée en fonction de versets de prédilection, comme 1 Cor. 6,19 qui dit que le «corps est le temple du Saint-Esprit» ou Col. 2,20-22 qui rappelle la liberté du croyant. Interrogé sur le sujet, le pasteur baptiste américain John Piper conseille: «Trouvez le juste milieu entre l’idolâtrie du corps et la négligence de ce même corps.»
Avis d’expert
Le Dr Matthew Chetta, chirurgien plastique chrétien, observe que «bien des chrétiens jugent la chirurgie esthétique comme moralement problématique, comme un rejet de l’ordre naturel de la vie, du vieillissement et de la mort établi par Dieu et du fait que chacun est une créature merveilleuse (Ps. 139, 14).» Pour lui, accuser la chirurgie esthétique de contredire le plan originel de Dieu pour le monde, c’est oublier que «dans le monde originel sans traumatisme, maladie congénitale ou cancéreuse, il n’y avait pas de nécessité d’intervention médicale et que la mort, le vieillissement et la difformité sont les résultats du péché originel». De plus, ce chargé de cours clinique en chirurgie plastique à l’Université de Caroline du Sud constate que «les progrès de la chirurgie esthétique et de la recherche ont considérablement amélioré les résultats de la chirurgie reconstructive en tentant de restaurer à la fois la forme et la fonction».
Aussi, le chirurgien appelle à discerner les motivations: mécontentement de la façon dont on a été créé ou volonté de rendre le «temple» le plus attrayant possible pour «glorifier Dieu dans notre corps» (1 Cor. 6, 19-20), revenir aux «meilleures versions d’elles-mêmes telles que créées par Dieu»? Pour lui, le spectre de la chirurgie esthétique va de la simple amélioration de l’apparence, qu’il juge acceptable, à la tentative de devenir ce qui n’a jamais été prévu par Dieu dans l’ordre de sa Création, même originelle, par exemple animaliser son corps; une altération de la Création qu’il juge immorale.