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Cette sainte colère des agriculteurs

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La révolte des agriculteurs embrase l’Europe: défilés de tracteurs, parkings vandalisés, routes bloquées, tous revendiquent de meilleures conditions de vie. Regards croisés de chrétiens.
David Métreau

«Notre fin sera votre faim». C’est avec ce type de slogan placardé sur leurs tracteurs que des agriculteurs se sont mobilisés cet hiver en France, en Suisse et dans de nombreux pays européens, de l’Espagne à la Roumanie en passant par l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, la Belgique ou la Grèce. Les revendications sont multiples, mais tous dénoncent la précarité régnant dans le secteur, le fardeau administratif et la concurrence internationale. Si le mouvement s’est essoufflé en France et en Roumanie après l’annonce de mesures gouvernementales, le malaise dans le monde agricole demeure.

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«On ne nous considère pas, on nous accuse de tout»

«Aujourd’hui, le climat pour les paysans est toxique. Il faut changer cela. Normalement on devrait considérer les agriculteurs comme les personnes les plus importantes de la société», plaide Jean-Michel Rey, coordinateur de l’association chrétienne Solidarité paysans Romandie. «Or, les paysans nous disent: “On ne nous considère pas, on nous accuse de tous les maux”. Certains travaillent pour cinq francs (cinq euros) de l’heure. On marche vraiment sur la tête.» Il appelle à une alliance sacrée entre Dieu, le cultivateur et le consommateur: «Le paysan a cette mission, ce mandat de nourrir la population. Pourtant c’est une profession, un peuple particulièrement ciblé, maltraité.»

Coïncidence du calendrier – «Un clin d’œil de Dieu car l’événement était prévu depuis cinq mois», précise Jean-Michel Rey –, Solidarité paysans Romandie organisait le 27 janvier dans les locaux de l’Eglise Gospel Center d’Oron (Suisse) la journée «Du champ à notre assiette…». 300 personnes – agriculteurs et consommateurs – étaient réunis pour plaider la cause paysanne devant Dieu. «Nous voulions aussi faire comprendre aux gens qu’avoir de la nourriture dans notre assiette trois fois par jour, ça ne va pas de soi. C’est certes le travail du paysan, que je ne minimise pas, mais c’est aussi un cadeau de Dieu.» Quelques jours plus tard commençait le mouvement de protestation du monde agricole en Suisse romande.

Dans la colère, des agriculteurs chrétiens

Parmi les initiateurs de ce mouvement figure Jean (prénom d’emprunt), agriculteur chrétien qui préfère rester discret pour le moment. Il récuse toute forme de violence et appelle «non pas à une révolution, qui a un début et une fin et est souvent marquée par des débordements, mais à une réforme qui est continue». Lui qui distille subtilement le message de l’Evangile auprès de ses confrères impliqués dans le mouvement demande un prix juste pour l’agriculteur et le consommateur. «Certains intermédiaires volent, d’une certaine manière, à la fois le peuple et le paysan. Si nous arrivons à fédérer le monde agricole et les consommateurs, par la grâce de Dieu nous parviendrons à sauver ce secteur en crise. Mais cela passe d’abord par un gros travail de fond et de collaboration entre agriculteurs.»

Face à cette crise du monde agricole, Joël Fauriel, agriculteur installé en bio dans le sud-est de la France, préconise la diversification. «L’agriculture qui a toujours fonctionné, c’est celle qui est diversifiée, elle a traversé les siècles. Elle produit pour elle et vend un peu le surplus. Non seulement c’est une résilience, une “sécurité”, mais c’est surtout passionnant. Les gens préfèrent souvent acheter une machine à traire à 300 000 euros plutôt que d’embaucher quelqu’un.»

Un problème d’avarice

Il refuse de voir dans l’industriel et la grande distribution la cause de tous les maux. «Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. Je crois que c’est le cœur de l’homme, idolâtre et avide d’argent qui a besoin d’être guéri.» Et l’agriculteur devrait aussi pouvoir se remettre en question, propose Joël Fauriel, ce que lui-même tente de faire. «Je suis en chemin», précise-t-il. «Je devrais avoir l’humilité de me dire que je me suis trompé dans mon système agricole. J’ai obéi aux conseils des banquiers, des techniciens, j’ai répondu à l’appât du gain et ces injonctions: “Change de tracteurs, de machines, augmente tes rendements, etc.”, plutôt que de faire confiance à Dieu.»

Si le paysan est dans la sagesse et non dans une opposition stérile, cela peut interpeller le peuple, assure Jean, l’agriculteur suisse romand. «Notre approche apaisée peut devenir un exemple de solution, dans le dialogue et le compromis pour d’autres pays.»  

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mars 2024

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