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Un Jésus de plus en plus humain sur nos écrans

© Allocine
Avec déjà plus de 300 millions de vues pour ses deux premières saisons, la nouvelle série «The Chosen» (l’Elu) de Dallas Jenkins met une nouvelle fois en lumière les enjeux de la représentation de Jésus à l’écran et dans la culture. Fidélité aux textes ou liberté d’interprétation? Analyse.
Pierre Teixeira

Depuis le film muet de 1906 «La Vie du Christ» d’Alice Guy en passant par «L’Evangile selon Saint Matthieu» de Pier Paolo Pasolini, les films à scandales que sont «Je vous salue, Marie» de Jean-Luc Godard et «La Dernière tentation du Christ» de Martin Scorsese, le péplum «Le Roi des Rois» de Nicholas Ray ou l’iconique «La Passion du Christ» (photo) de Mel Gibson, la représentation du Christ est un défi non sans controverse parmi les chrétiens. Dans son fond comme dans sa forme, de l’extérieur à l’intérieur, l’on assiste à une tension permanente entre le Jésus des Ecritures et celui de la culture populaire. Du long métrage «Jésus» de Peter Sykes et John Krish sorti en 1979 au «Son of God» du réalisateur Christopher Spencer sorti en 2014, l’adaptation de l’homme de Galilée ne laisse personne indifférent. La série controversée «Messiah» de Netflix ou encore le documentaire plus récent du «Nouvel Evangile» de Milo Rau questionnent sur les limites de l’acceptable (pour le chrétien vis-à-vis de sa foi) dans la représentation de Jésus à l’écran.

L’imagination de chacun

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Au-delà des apparences, c’est surtout l’essence du récit et de l’acteur principal qui interpelle le spectateur contemporain. A la question de savoir pourquoi la représentation de Jésus dans les films ou séries est souvent - pour ne pas dire toujours - l’objet de débats, le pasteur baptiste cinéphile Jean-Luc Gadreau fait remarquer que «chacun se forge sa propre image du Christ à la lecture des Evangiles, liée à son système personnel marqué par sa culture, son niveau social, son histoire propre, sa foi ou non, sa théologie, etc. Et le Jésus sur l’écran ne correspondra pas forcément à cette image.»
«On ne part pas d’un modèle décrit avec précision qui ne serait qu’à copier, non, l’imagination est ouverte!», lance ce membre du Prix du jury œcuménique du Festival de Cannes. «L’incarnation offre une invitation à l’artiste; la divinité invisible a daigné se laisser voir et elle continue à se laisser imaginer, interpréter, représenter.» Pour Vincent Miéville, pasteur libriste, président de l’Union des Eglises libres et cinéphile averti, la question de la représentation est un principe cinématographique général de l’interprétation subjective du spectateur. «En réalité, le débat est le même pour toute adaptation en film ou en série d’un roman. Un Evangile n’est certes pas tout à fait un roman mais ce n’est pas non plus un scénario de film! Quand vous lisez un roman ou un Evangile vous vous faites votre propre représentation des différents personnages et de l’histoire. Et il y aura forcément un décalage entre votre propre représentation et celle qui sera proposée par le réalisateur dans son film ou sa série.»

Un anti-héros très humain

L’histoire de l’audiovisuel chrétien a toujours mis en avant la divinité du Christ en marginalisant parfois son humanité. Dans «The Chosen», c’est le Jésus du concile de Chalcédoine qui se révèle au grand public. Un Christ humain qui se laisse interpréter du point de vue de ses disciples.
Une particularité qui, selon Vincent Miéville, tranche considérablement avec les identités christiques projetées jusqu’ici: «Quand on regarde certaines adaptations cinématographiques, on voit plutôt un illuminé, ou une sorte de créature angélique, en tout cas pas vraiment un être humain “normal”. Certes, il accomplit des miracles et son enseignement fascine ou dérange mais dans le quotidien et dans ses relations avec les autres, il se comporte comme vous et moi. Il rit souvent, il s’amuse et plaisante. Dans “The Chosen”, le choix de la proximité et du portrait humain de Jésus semble finalement assez proche de ce que l’on voit dans les séries contemporaines où les héros ne sont plus les bons chevaliers blancs qui combattent les méchants mais très souvent plutôt des anti-héros, très humains, avec leur part d’ombre. Pour le Jésus de “The Chosen”, ce n’est évidemment pas une part d’ombre mais bien une grande part d’humanité.»

Volonté herméneutique?

Ces dernières années, des figures originales de Jésus avaient été portées à l’écran: noir et révolté dans «Le Nouvel Evangile» de Milo Rau, mystérieux, androgyne proche des sphères politiques et pont entre le christianisme et l’islam dans la série «Messiah» sur Netflix. Comme s’il y avait une volonté herméneutique et cinématographique de dévoiler un Christ qui se rapproche de sa propre réalité et de ses souhaits. Mieux, qui s’incarne dans le vécu de tous les jours. Entre le choix de la fidélité au texte et de la liberté d’interprétation, il est surtout fondamental de voir comment le «Jésus de l’écran» affecte l’expression de la foi personnelle dans la culture
collective.
Jean-Luc Gadreau abonde dans ce sens en précisant que «c’est le même défi pour chacun d’entre nous spirituellement face au texte biblique écrit dans des contextes historiques et culturels particuliers (et très différents des nôtres) et qui pourtant s’adresse encore à moi aujourd’hui. Un texte qui demeure le même et qui me parle aujourd’hui toujours. C’est entendre aussi avec lui la liberté offerte à chacun d’accueillir ce texte et de le recevoir différemment.» A voir de plus près, les enjeux de la représentation de Jésus à l’écran et dans la culture ne se résument-ils pas dans cette question fondamentale: «Comment Jésus aurait-il vécu dans notre siècle?» 

Avec David Métreau

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Février 2022

Dossier: Jésus à l'écran

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