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L’influence du patriarche de Moscou sur la géopolitique russe

© Wikipedia
Quand on évoque les tensions géopolitiques avec la Russie, on parle de gaz, d’ambition militaire et de contrôle de territoire stratégique. Mais on parle moins souvent de l’ambition de l’église orthodoxe Russe.

Pour comprendre le rôle de l’Eglise orthodoxe dans les tensions géopolitiques avec la Russie, il faut d’abord comprendre sa nature. L’Eglise orthodoxe n’est ni une organisation pyramidale comme l’Eglise catholique, ni une nébuleuse comme l’évangélisme. L’Eglise orthodoxe a son propre système. Elle est constituée de quatorze Eglises dites autocéphales. C’est-à-dire qu’elles existent par elle-même, avec leur propre conducteur spirituel et leur propre synode. Pour être autocéphales, ces Eglises doivent se reconnaître entre elles. Une Eglise orthodoxe aux Etats-Unis peut être liée au patriarcat de Moscou, bien qu’il existe une Eglise autocéphale dans le pays. La notion de territorialité est toute relative. Et c’est là tout l’enjeu d’influence politique.

Depuis la chute de l’URSS, l’orthodoxie est redevenue un élément essentiel de l’identité russe. Vladimir Poutine ne le sait que trop bien et s’appuie sur la religion tant pour définir sa politique intérieure que pour diriger sa diplomatie. Même si la Constitution russe assure que la Fédération est un Etat laïc. Cette relation n’est pas à sens unique: l’Eglise russe dispose également d’une influence importante sur le Kremlin.

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Vers l’indépendance

L’Ukraine a fait les frais de cette porosité entre religion, territoire et politique internationale. En 2019, Bartholomée Ier, le représentant de l’Eglise autocéphale dite de Constantinople, révoque un décret de 1686. Ce dernier plaçait les Eglises ukrainiennes sous l’autorité de l’Eglise autocéphale de Moscou. Ce faisant, le primat de Constantinople accorde leur indépendance aux Eglises d’Ukraine qui ne souhaitaient pas être sous la coupe de Moscou. Cet événement a mené à la constitution d’une nouvelle Eglise autocéphale, dite de Kiev. Sauf que celle-ci n’est pas reconnue par toutes les autres Eglises autocéphales, notamment par celle de Moscou.

A cela s’ajoute le fait que toutes les Eglises orthodoxes d’Ukraine n’ont pas rejoint la nouvelle Eglise. Certaines sont restées fidèles au patriarcat de Moscou. Mais cela ne s’est pas fait sans remous. Le responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou a récemment appuyé une résolution du Comité des droits de l’Homme de l’ONU qui dénonce «des violences, des intimidations et des actes de vandalisme» contre l’Eglise orthodoxe ukrainienne rattachée à Moscou et l’indifférence de la police locale. Il faut dire que le président et le Parlement, sortant de leur compétence stricte, avaient poussé à la constitution de l’Eglise autocéphale en 2018. Lequel du conflit territorial ou du conflit spirituel engendre l’autre?

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Le protecteur de tous les chrétiens

L’Ukraine n’est pas le seul théâtre de confusion entre la Fédération de Russie et l’Eglise orthodoxe du pays. A l’occasion de la campagne présidentielle de 2012, Vladimir Poutine avait promis au patriarcat orthodoxe russe de faire de la protection des chrétiens persécutés l’un des sujets prioritaires de sa politique étrangère. Le patriarche Cyrille a soutenu l’intervention russe en Syrie en arguant de la nécessité de défendre les chrétiens d’Orient attaqués par les islamistes opposés au pouvoir de Bachar el-Assad. L’Eglise orthodoxe russe a développé au Proche-Orient une diplomatie religieuse qui, conjuguée à celle, politique, de Moscou, a permis à la Russie de reprendre le rôle de protectrice des chrétiens autrefois dévolu à la France. Moscou entend être le protecteur de tous les chrétiens, au-delà des orthodoxes.

En octobre 2013, le ministère russe des Affaires étrangères a dévoilé une lettre de 50 000 chrétiens syriens demandant la nationalité russe et exprimant leur défiance envers l’Occident dont la politique viserait à éradiquer leur présence du pays. L’Europe essuie également les critiques de Vladimir Poutine qui dénonce l’oubli des racines chrétiennes du continent au profit des valeurs progressistes et de «la propagation de l’homosexualité par certains Etats». La Russie se pose ainsi comme le défenseur de l’identité européenne.

Ce soft power passe également par la construction de monuments, notamment une statue du Christ en Syrie en 2013. Mais en Europe également, Moscou entend afficher sa présence et son rayonnement spirituel. Par exemple, la très puissante société gazière nationale Gazprom a largement financé la cathédrale Saint-Sava en Serbie, ce qui permet à la Russie de montrer aux frères slaves et orthodoxes, candidats à l’entrée dans l’Union européenne, qu’ils peuvent davantage compter sur elle. L’Eglise russe a inauguré en 2016 la cathédrale Sainte-Trinité à Paris intégrée au centre culturel et spirituel orthodoxe, dont l’architecture évoque les styles byzantin et russe. Un complexe de 170 millions d’euros financé par l’Etat russe. Cependant, ce soft power a ses limites, en témoignent les rapports houleux entre la France et la Russie depuis l’annexion de la Crimée en 2014.

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De fait, il est évident que le conflit diplomatique entre la Russie et l’occident ne se limite pas à une question géostratégique. Il y a aussi un projet moral, pour ne pas dire religieux. C’est ainsi que Vladimir Poutine s’affiche comme l’orthodoxe parfait.

Chaque année, Vladimir Poutine se plonge dans l’eau glacée et effectue un signe de croix lorsqu’il en émerge, célébrant ainsi l’Epiphanie et le baptême du Christ. L’événement est diffusé et ancre dans l’imaginaire national l’idée de la grande Russie orthodoxe culturellement différente de l’Occident. Bien que la constitution garantisse que la fédération est un Etat laïc, les lois de Russie reconnaissent un «rôle spécial» à l’Eglise orthodoxe. Les témoins de Jehova ont fait les frais de cette affinité politico religieuse. Plus récemment, plusieurs lois anti-missionnaires et anti-extrémismes ont causé du tort à des Eglises évangéliques. Sous couvert d’une crainte d’une influence étrangère via des Eglises trop occidentales, le Kremlin assure à l’Eglise orthodoxe que les conversions aux mouvements évangéliques seront limitées.

Ainsi, derrière chaque prise de position de la Russie de Vladimir Poutine, il est légitime de se demander s’il y a un intérêt de la part de l’Eglise orthodoxe de Moscou et de considérer les conséquences pour les communautés qui ne partagent pas cette foi.

Francis-George Sarpédon et Benjamin Calmant

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Invasion: Les conséquences sur les églises locales

Depuis les indépendances autoproclamées de la République Populaire de Donetsk (dans l’est de l’Ukraine) et de celle de la République populaire de Lougansk en 2014, les Eglises protestantes, notamment évangéliques et baptistes, sont victimes de restrictions de la liberté religieuse. Ainsi fin octobre 2021, trois églises ont été fermées. Selon Forum 18, elles sont accusées de violations des procédures d’enregistrement des organisations religieuses. Par ailleurs, seuls les membres des associations religieuses peuvent participer aux cultes et aux autres activités organisées par les associations en question. L’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait donc entraîner la fermeture de nombreuses Eglises, notamment baptistes de l’est, du nord et d’une partie du sud du pays. Yarsolav «Slavik» Pyzh, président de l’Institut théologique baptiste ukrainien à Lviv, a déclaré à Baptist Press s’attendre à ce que «l’Eglise entre dans la clandestinité» comme au temps de l’Union soviétique. «L’Eglise n’a pas oublié ce que signifie être persécuté et je pense que nous allons nous réorganiser et continuer à faire ce que nous faisons toujours, c’est-à-dire prêcher l’Evangile.»

David Métreau

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Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mars 2022

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