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La présence évangélique à la Réunion, entre essor et scandales

© Evangelique.info
Deux affaires judiciaires impliquant des pasteurs ont mis les évangéliques sur le devant de la scène sur l’île de la Réunion. L’évangélisme y est en forte progression, avec ses joies, ses influences étrangères et ses dérives. Analyse.

Ces dernières années, deux scandales chez les évangéliques ont fait grand bruit sur l’île de le Réunion. La première concerne l’Eglise Extravagance et son pasteur Bruno Picard, connu dans toute la francophonie.

Extravagance et son pasteur mis en examen

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En mars, une enquête préliminaire était ouverte par le parquet pour abus de faiblesse, suite à la plainte déposée par Rudy Thazard, un ancien membre d’Extravagance qui a fréquenté l’assemblée durant vingt ans. Il témoigne avoir travaillé gratuitement pour le pasteur à plein temps, même la nuit, en vivant des allocations chômage, en 2004. Plus tard, gagnant bien sa vie, le plaignant assure avoir donné, avec son épouse, et cela pendant un an, la totalité de leurs revenus à Extravagance, environ 6000 euros net mensuels.

Les enquêteurs ont perquisitionné en mai les locaux de l’Eglise ainsi que le domicile du pasteur. D’autres plaintes ont rejoint celle déposée par Rudy Thazard, dont celle, fin mai, d’un ex-fidèle qui aurait donné un million d’euros en quelques années, notamment 10 000 euros par mois à l’Eglise ou encore des billets d’avion à Bruno Picard qui lui faisait souvent part de soucis financiers. Alors qu’il pensait que sa famille et celle du pasteur étaient amies, il a été accusé de manquer d’intégrité quand il n’a plus été en mesure d’être généreux.

L’Eglise Extravagance, qui a vu le jour en 2000, est indirectement issue d’une scission, sous la direction de Bruno Picard, formé en Afrique du Sud par le prophète Marc Bredenkamp et assisté d’une douzaine de pasteurs. Bruno Picard se présentant comme un prophète avait attiré des Européens à la Réunion en leur parlant de miracles et d’une assemblée conquérante de 1500 membres. Depuis, le nombre de fidèles a chuté. Ils seraient aujourd’hui autour de 150 et il ne resterait que deux pasteurs. Une douzaine de fidèles se sont constitués en deux collectifs pour porter l’affaire en justice.

Le pasteur principal interdit de prêcher

Bruno Picard a été mis en examen, comme son Eglise en tant que personne morale, et placé sous contrôle judiciaire le 8 juillet après deux jours et une nuit de garde à vue. Le pasteur a pour interdiction de quitter le département et de prêcher. Extravagance a réussi à verser une caution de 90 000 euros avant fin octobre pour ne pas fermer, en faisant appel à la générosité de ses fidèles. Contactée par la rédaction, l’Eglise n’a pas donné suite.

David Storm accusé de viols et abus

Un autre scandale a également secoué le milieu évangélique réunionnais ces dernières années. Ainsi, le pasteur David Storm, déjà condamné en 2019 par le tribunal correctionnel de Lyon à huit mois de prison avec sursis pour blanchiment d’argent et abus de confiance a été mis en examen à la Réunion la même année pour viols et agressions sexuelles suite aux plaintes de trois fidèles. En 2020, deux adolescentes ont également accusé le pasteur de viols et une autre mineure a déposé plainte en juin dernier pour abus de faiblesse. Le pasteur autoproclamé a fui la Réunion alors qu’il était placé sous contrôle judiciaire et réside désormais en Afrique.

Comment l’évangélisme est arrivé sur l’île

Ces récentes affaires ne témoignent que partiellement des potentielles dérives qui se greffent sur un évangélisme en forte croissance depuis ses débuts à la Réunion. En effet, le mouvement évangélique, majoritairement pentecôtiste, s’est implanté sur cette terre très largement catholique, avec des minorités bouddhistes, hindoues ayant parfois une double affiliation religieuse, ainsi que des musulmans. La Convention pastorale des Assemblées de Dieu de France y a envoyé le pasteur Aimé Cizeron en 1966. Les premières rencontres ont eu lieu tout le mois d’août de cette même année à Saint-Denis, le chef-lieu du département: «Le premier jour il y avait sept personnes. Le premier dimanche, soixante-cinq personnes dans l’auditoire et le dernier dimanche environ 8000 personnes.» En septembre 1966, la première Eglise a vu le jour dans un cinéma et était fréquentée par environ 450 fidèles.

Ancien combattant, Aimé Cizeron comparera cette épopée au débarquement allié de 1944. «J’ai toujours considéré cette entreprise comme une offensive et un combat. J’avais constamment le sentiment d’attaquer», relate le missionnaire dans Aimé Cizeron, pionnier de l’Océan indien (éd. Vida). Le lexique est militaire, il s’agit de «ceinturer» l’île en ouvrant des antennes sur tout le pourtour côtier avec l’aide de missionnaires venus «en renfort», avant de continuer sur les hauteurs. En février 1967, cinq assemblées étaient déclarées en préfecture. Il y avait 22 000 fidèles, soit 2,7% de la population insulaire en 2010, et le nombre de nouveaux membres augmente d’environ 500 chaque année. Le mouvement a ses radios, ses camps de vacances, organise ses propres formations pastorales et envoie désormais des missionnaires à Madagascar et Mayotte. David Cizeron, fils du missionnaire, pasteur à Saint-Denis et président de Radio Vie, donne ainsi un aperçu: «Ici, à la Réunion, il y a au moins un membre proche ou éloigné de chaque famille réunionnaise qui est membre de la Mission.» Parallèlement, un missionnaire américain, Paul White, a aussi commencé à établir une œuvre évangélique dans l’île en 1968 avant de s’y installer avec sa famille deux ans plus tard, néanmoins sans le même développement.

Accent sur la guérison

Si le pentecôtisme s’est assez facilement répandu à la Réunion, c’est parce que l’accent a été placé sur les miracles. Particularité locale, les Assemblées de Dieu sont principalement connues sous le nom de «Mission Salut et Guérison».
Bernard Boutter est l’auteur d’une thèse intitulée La Mission Salut et Guérison à l’île de la Réunion. Dans cette contribution à une anthropologie du pentecôtisme dans des sociétés en mutation, il explique que l’intention était de susciter l’intérêt de la population en mettant en avant les guérisons.
L’ethnologue observe que certains Réunionnais fréquentent ainsi les Eglises sans être convertis en même temps qu’ils recherchent d’autres thérapies: «Venus dans une assemblée pour les impositions des mains et les prières de guérison, ils y découvrent le message pentecôtiste, en convergence avec le mode de pensée créole en ce qui concerne les notions de maladie et de guérison. Dans ces deux modes de pensée, le concept de maladie dépasse les simples maux physiques, pour concerner toute perturbation de l’existence quotidienne, souvent d’ailleurs des problèmes de possession.»

Entre tensions et divisions

C’est notamment l’accent mis sur la guérison qui a permis l’essor du pentecôtisme là où l’Eglise adventiste, présente depuis les années 1930, avait peiné à s’implanter. Comme cette dernière, la Mission s’est opposée au catholicisme, mais son message a davantage atteint une population friande de miracles.
De plus, alors que les catholiques n’avaient pas accès à la Bible car «sa lecture rendait fou», comme le rappelle David Cizeron, la Mission édite des guides de lecture biblique pour familiariser le jeune converti avec les Ecritures. Dès 1983, des divisions ont commencé à apparaître après la visite d’un prédicateur sud-africain porteur de nouvelles pratiques charismatiques. Trois jeunes pasteurs du sud ont ainsi quitté la Mission après le refus d’Aimé Cizeron d’intégrer au culte ces nouvelles formes d’expériences spirituelles. Face à l’absence de compromis, les dissidents ont fondé leur propre mouvement, l’Eglise du plein Evangile, réparti en deux assemblées.
Deux ans plus tard, des tensions au sein de la nouvelle entité ont à leur tour abouti à une scission. Au fil du temps, de nouvelles Eglises sont apparues, toutes plus ou moins directement issues de la Mission Salut et Guérison. On en dénombrait une trentaine au début des années 2010.

Malgré leurs origines communes, la Mission et ces Eglises «néo-pentecôtistes» diffèrent. A l’instar de l’Eglise catholique et la Mission Salut et Guérison, les «néo-pentecôtistes» ont une approche militaire, du moins dans le vocabulaire largement consacré au combat spirituel.

L’anthropologue Valérie Aubourg, auteure de la thèse L’Eglise à l’épreuve du pentecôtisme – L’expérience religieuse à l’île de La Réunion souligne que cette dernière vague évangélique est cependant influencée par la théologie de la prospérité depuis l’invitation du prophète ivoirien Gem Kakou en 2006. Certaines de ces nouvelles Eglises avaient refusé de participer à la rencontre.
Finalement, force est de constater que les scandales récents semblent n’avoir pas entaché la réputation des Eglises non concernées, notamment les Assemblées de Dieu. Selon David Cizeron, les autorités savent faire la différence et aucun amalgame n’a été fait. La présence protestante n’est plus déconsidérée. Outre les pentecôtistes, il y avait en 2010 environ 1500 autres évangéliques, autant de luthéro-réformés et 1400 adventistes.

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Décembre 2021

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