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Inde: Portes fermées pour les ONG chrétiennes

Alors que l’Inde est heurtée de plein fouet par une seconde vague de la pandémie, les ONG chrétiennes peinent à procurer l’aide nécessaire aux habitants. Accusées de prosélytisme religieux, elles sont confrontées à une politique de promotion de l’hindouisme.
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Alors que l’Inde est heurtée de plein fouet par une seconde vague de la pandémie, les ONG chrétiennes peinent à procurer l’aide nécessaire aux habitants. Accusées de prosélytisme religieux, elles sont confrontées à une politique de promotion de l’hindouisme.

Un «tsunami de souffrances», ce sont les mots de Athanasius Yohan (K.P. Yohannan), fondateur de Gospel for Asia World pour qualifier la situation que connaît l’Inde confrontée à l’épidémie du covid. Le pays connaît une seconde vague et enregistrait au matin du 4 juin près de 340 000 décès, selon le ministère de l’Information. Dans ce contexte, l’aide internationale des Etats étrangers et des ONG, notamment chrétiennes, afflue, mais le gouvernement fédéral entend gêner le travail de ces dernières.

Crise sur tous les fronts

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Début mai, l’acteur indien Rahul Vohra est décédé après avoir vainement demandé sur les réseaux sociaux où il pourrait bénéficier d’un lit à oxygène. Les hôpitaux sont débordés et des malades décèdent dans la rue. 46% des nouveaux cas de covid et un décès sur quatre liés au virus dans le monde étaient recensés en Inde alors que Rahul Vohra rendait son dernier souffle. La situation sanitaire est encore compliquée par la mucormycose ou champignon noir, une infection fongique létale dans la moitié des cas. Il y a déjà plus de 12 000 personnes touchées selon le gouvernement et le pays manque cruellement d’amphotéricine b, le traitement nécessaire. 

Ces chiffres s’agrègent à une situation sociale où la grande pauvreté très présente, malgré la forte croissance économique, a été accrue par la décision du gouvernement d’imposer une démonétisation sauvage en novembre 2016. Les échecs socio-économiques ont conduit le premier ministre Narendra Modi à s’appuyer encore davantage sur sa politique de promotion de l’hindouisme au détriment de la laïcité et des minorités religieuses.

Depuis longtemps, mais plus encore depuis l’arrivée du BJP, le parti de Narendra Modi, au pouvoir en 2014, le sort des minorités religieuses est difficile. Néanmoins, les ONG chrétiennes et les Eglises pouvaient espérer que leur contribution à la lutte contre la covid changerait leurs relations avec les autorités. 

Eglises et ONG chrétiennes au chevet des Indiens

L’organisation Gospel for Asia World (GFA World), basée au Texas, envoie des équipements d’oxygène et autres fournitures médicales vitales. Elle collabore avec les hôpitaux locaux du sud-ouest de l’Inde et connaît le terrain, où elle est présente depuis sa création en 1979 par K.P. Yohannan, originaire du Kerala dans le sud du pays. Celui-ci déclare que «l’Inde est en train de suffoquer à mort». Le missionnaire explique les motivations spirituelles de l’aide: «Voir les gens mourir dans les rues en Inde (…) doit certainement nous pousser à montrer l’amour de Dieu par la compassion et l’action.» GFA World fournit également des dizaines de milliers de kits alimentaires via les centres Bridge of Hope, avec le soutien des autorités locales et des responsables scolaires. Lors des distributions de nourriture, les enfants sont informés quant à la nature du covid et des moyens de se protéger.

Samaritan’s Purse, une ONG dirigée par le pasteur Franklin Graham, fournit également des vivres aux familles démunies qui travaillent habituellement à la journée et sont actuellement privées de travail. Elle soutient, par ailleurs, un hôpital auquel elle offre des fournitures médicales. L’unité de soins intensifs covid de l’établissement est ainsi passée de 15 à 74 lits.

Une attention particulière pour les Dalits

François (qui souhaite rester anonyme pour des raisons de sécurité), responsable d’une organisation chrétienne présente dans le pays, fait part du souci pour les démunis parmi les démunis, qui a conduit à une attention particulière pour les Dalits, les Intouchables, hors-castes et relégués aux tâches jugées impures. Des millions d’entre eux n’ont plus de travail journalier. L’ONG Mission Inde, fondée par le pasteur français René Le Cossec, tente de pourvoir en masques, nourriture et couvertures pour les Tsiganes du sous-continent, ces autres oubliés. 

Les Eglises ne sont pas en reste et, tout comme les ONG, elles apportent un soutien sans discrimination. A Hyderabad, dans le Télangana, la Calvary Temple Church (330 000 membres) a accueilli 300 lits covid dans ses locaux et avait déjà distribué 700 tonnes de nourriture aux familles dans le besoin à la mi-mai. «Nous accueillons quiconque frappe à notre porte, peu importe sa caste, sa race, ses croyances», assure le pasteur Satish Kumar. Par ailleurs, «les chrétiens s’entraident comme ils le peuvent, en distribuant de la nourriture, des habits, etc. Cela varie selon les Eglises, le lieu ou les moyens à disposition», confie François.

Le gouvernement tente d’empêcher les ONG chrétiennes d’aider

Si au niveau local ces initiatives sont souvent favorablement accueillies par les autorités, l’appréciation du gouvernement fédéral est différente et dépend des organisations. «Le gouvernement indien fait tout ce qu’il peut pour nous aider, ainsi que d’autres ONG, à fournir une aide urgente immédiatement», déclare K.P. Yohannan. Mais New Delhi surveille les activités des organisations et cherche des prétextes pour empêcher certaines d’œuvrer, particulièrement les petites. Pour cela, le gouvernement dispose d’un outil juridique, le Foreign Contribution (Regulation) Act (FCRA), la loi sur la réglementation des contributions étrangères de 2010.

Cette législation permet d’interdire le financement étranger des ONG sur le territoire indien, ce qui revient à les étouffer. Et ce resserrement concerne toutes sortes d’associations, comme celle de Vinay Kumar qui peine à tenir sa promesse d’aider des populations dans des zones reculées du pays, l’argent qu’elle a pu collecter étant bloqué. Des milliers d’ONG étrangères ont déjà dû fermer leurs portes avant la pandémie, selon François. 

Compassion expulsée d’Inde en 2016

L’organisation Compassion International a par exemple été empêchée d’apporter son soutien au 147 000 enfants parrainés en Inde en 2016. En octobre dernier, quatre ONG protestantes ont vu leurs licences révoquées sous prétexte de prosélytisme religieux, une accusation habituelle pour restreindre les libertés de ces humanitaires chrétiens. Certaines d’entre elles étaient présentes dans le pays depuis les années 1950 ou 1960. La FCRA est utilisée comme un auxiliaire législatif des fameuses lois anti-conversion (sauf à l’hindouisme) en vigueur dans neuf Etats.

Au début du mois, face aux protestations des ONG, le ministère de l’Intérieur a introduit quelques assouplissements aux règles et dit qu’il prolongerait la validité des certifications des ONG jusqu’au 30 septembre 2021. Reste à savoir quels seront les critères retenus pour ne pas exclure celles dirigées par des chrétiens. 

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Juillet- Août 2021

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