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Le bénévolat chrétien est-il dépassé?

© GettyImages
Les œuvres chrétiennes ne sont pas épargnées par la crise et s’appuient parfois énormément sur le bénévolat. Ce système est-il une valeur à transmettre ou n’est-il qu’un vestige d’une ère révolue?
David Nadaud

Les chiffres sont parlants: en Suisse, chaque année, ce sont 2,3 millions de personnes qui pratiquent des activités bénévoles, soit 27% de la population. Et les proportions françaises suivent la même tendance.

Jean-Louis Clément est responsable de plusieurs structures d’économie sociale et solidaire, avec des équipes mélangées entre professionnels et bénévoles. Il livre sans détour son regard critique sur l’évolution du terme, qui semble avoir aujourd’hui perdu de sa substance: «Le bénévolat, à présent, est souvent présenté comme une occupation périphérique, valorisante et valorisable envers la société, avec des bénéfices pour chacun, mais qui est de plus en plus considéré comme un loisir. On s’engage bénévolement comme on pourrait faire du jogging pour s’épanouir, du yoga ou un autre passe-temps.»

Il étend sa réflexion: «C’est finalement pareil pour le mot “chrétien”. Est-ce que c’est juste une étiquette à laquelle on suppose certaines valeurs?» Il s’interroge sur la signification profonde de ces termes: «Au sens étymologique du terme, être “chrétien” c’est être un petit christ, soit quelqu’un qui reflète le caractère et la personnalité de Christ.» Selon lui, au sens strict du terme, le «bénévolat» n’est pas censé être un passe-temps, mais une activité entièrement consacrée à la pratique du bien.

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Des liens entre le bénévolat et la foi

«Pour moi», affirme Jean-Louis Clément, «être chrétien et bénévole, c’est pareil. C’est refléter un caractère de Christ que de se mettre gratuitement au service des autres. Il s’agit de donner de son temps et de son énergie pour la communauté. Le bénévolat est un prolongement – et donc une réalisation – de qui nous sommes en Christ.» A la question de savoir si le bénévolat est une nécessité économique ou une valeur à transmettre, il répond: «Les deux: le travail bénévole soutient l’activité et le modèle économique des structures. J’irai jusqu’à dire que cela va au-delà de la simple valeur: c’est un mode de vie.»

Martine et Philippe Fournier, fondateurs et anciens responsables de l’association chrétienne de solidarité La Gerbe, illustrent ces propos par des chiffres: «Dans une association comme la nôtre, la contre-valeur du bénévolat représente entre 20% et 30% du budget total. Un grand nombre de projets ne fonctionnent que grâce au bénévolat. C’est aussi ce type d’engagement qui permet de répondre à certaines crises humanitaires soudaines comme nous l’avons vécu avec la guerre en Ukraine.»

Salariés et bénévoles, perspectives différentes

Christophe, qui a travaillé au développement de groupes de scoutisme pendant des années, confie les difficultés qu’il a pu rencontrer dans son travail: «Dans une structure où se mélangent bénévoles et salariés, il n’est pas rare d’observer des tensions. En effet, les attentes et les implications des uns et des autres sont différentes. Les bénévoles viennent en dehors de leur temps de travail et donnent un sens à leur existence au travers de cette participation. Du côté des salariés, il s’agit de leur métier. Bien entendu, ces derniers ne sont pas là par hasard; ils partagent les valeurs et les objectifs pour lesquels ces structures existent. Bien souvent, ils travaillent au-delà de ce qui est demandé et deviennent des salariés-bénévoles.»

Selon son expérience, dans le cas où ces personnes décident de se redonner des limites, il n’est pas rare que la décision soit perçue comme un désengagement par les bénévoles: «J’ai parfois été témoin de pressions plus ou moins conscientes à l’encontre des salariés-bénévoles. En effet, il n’est pas facile de refuser quand les projets, les valeurs et les objectifs d’une association nécessitent plus d’implication. En disant “non”, ces personnes ont parfois l’impression de laisser tomber des gens.»

On ajoute encore un niveau de complexité lorsque c’est un couple qui s’engage dans une cause mêlant bénévoles et employés: «Le plus risqué», selon Christophe, «c’est le cas de figure où deux personnes se rencontrent dans la même structure: la confusion entre vie privée, professionnelle et bénévole est absolument terrible. Sans cadre bienveillant ni limites raisonnables et claires, un couple peut courir au burnout.»

Le bénévolat et la vocation pastorale

Christophe, qui fait également partie des responsables de son Eglise, établit un parallèle entre le bénévolat pour les œuvres et pour la vie ecclésiale: «Ce genre de tensions existe aussi vis-à-vis des attentes des membres d’une paroisse envers leur pasteur. En effet, celui-ci est fréquemment amené à être disponible pour les fidèles en-dehors des heures régulières de travail.»

Selon lui, la vie de l’Eglise tourne autour du bénévolat des membres. Ainsi, les différentes réunions, les enseignements et autres rencontres sont généralement agendées le soir: «La génération de nos parents acceptait cela sans problème et nos grand-parents ne se posaient même pas la question! Aujourd’hui, les choses sont différentes et il n’est pas rare de rencontrer des pasteurs qui désirent préserver leur vie de famille, au risque de froisser certaines attentes des paroissiens.»

Ciment de l’humanité et «marque divine de l’amour»

Parfois, le bénévolat vient en complément du monde professionnel pour apporter un supplément d’âme. C’est ce qu’a vécu Lydie, une jeune mère de famille qui a effectué des stages d’aide-soignante dans les deux maisons de retraites de sa ville: l’une appartenait à une société nationale, avec des tarifs très élevés et sans aucune place laissée au bénévolat, tandis que la seconde était gérée par une association catholique. Celle-ci, avant tout destinée aux personnes aux ressources modestes, déléguait une partie importante du travail aux bénévoles.

Son constat est sans appel: «On est étrangement mieux pris en charge dans la maison de retraite des pauvres que dans celle des riches.» En effet, elle témoigne que la différence réside dans la présence majoritaire de bénévoles, qui ajoutent une certaine part d’humanité peu présente dans les structures commerciales. Elle explique: «Lors de mon premier stage (dans la structure “commerciale”, ndlr) nous courrions littéralement entre deux toilettes, deux repas. A la fin de mon stage, je ne connaissais pas grand-chose de la vie des résidents. Dans le second, nous avions du temps, ce n’était pas de tout repos bien entendu, mais au moins c’était humain!»

Véronique Mohseni, coordinatrice de l’Espace de vie sociale de l’association La Gerbe, résume ainsi: «Le bénévolat crée du lien entre les “bénéficiaires” et les “aidants”, sachant que les rôles peuvent parfois s’inverser. Ce type d’activité brise les solitudes et fait tenir la société face aux déchirures.»

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mars 2024

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