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Envisager la vérité au prisme de l’individualité

© GettyImages
«Les chemins, les vérités, les vies»: le relativisme mêlé d’individualisme mène la vie dure à l’annonce de l’Évangile. À quoi s’accrocher quand le monde semble abandonner l’idée de vérité absolue?
Maude Burkhalter

«Nous construisons une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme étant définitif et dont l’objectif ultime consiste uniquement en son propre ego et ses désirs.» Voilà dans quels termes s’exprimait le cardinal Joseph Ratzinger en 2005. Une inquiétude largement relayée par de nombreux essayistes, philosophes et penseurs modernes depuis. Le relativisme, qui a connu un essor fulgurant dans les années récentes, impose inévitablement de situer correctement l’annonce d’un Evangile à voie unique, celle de Christ.

«Dans notre société, la notion de vérité est de plus en plus relative. Relative aux personnes, à leurs opinions, à leurs envies. La vérité devient quelque chose de subjectif, et donc “ce qui est vrai pour toi n’est pas forcément vrai pour moi”, et vice versa», décrit Léa Rychen, apologète du collectif imagoDei. «C’est un phénomène qui a pris racine dans le 20e siècle et la fin des grands récits. On a deux guerres mondiales qui font prendre conscience des énormes failles de l’être humain. C’est une véritable crise de la vérité.» La découverte d’autres civilisations et d’autres façons de penser a poussé l’être humain, dans un désir dont la posture initiale était l’humilité, à considérer d’autres perspectives. «Les opinions et les manières de voir le monde deviennent toutes équivalentes les unes aux autres», complète Jean-René Moret, physicien et docteur en études théologiques. «Dans le relativisme, il n’y a pas de vérité ultime qui existe en dehors et indépendamment de l’être humain.» Et d’ajouter que toute prétention à savoir ce qui est vrai est dès lors perçue comme suspecte.

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Un relativisme hypocrite

Si le relativisme a connu un essor fulgurant avec la génération de Mai 68, celui qui est aussi pasteur n’est pas convaincu de la croissance actuelle de cette idéologie. «J’ai l’impression que les générations montantes se rendent peu à peu compte que le relativisme ne fonctionne pas», commente-t-il. «Par exemple, sur des questions comme le climat ou face aux minorités sexuelles, il y a une posture qui est en fait très moralisante, où on considère que ceux qui ont la fausse attitude font réellement le mal, qu’ils doivent changer et être punis. Ce n’est donc pas juste une question d’opinion.» Il indique en outre que le relativisme repose sur un présupposé infondé. Etre relativiste devrait nous permettre de croire qu’être ou ne pas être relativiste sont deux opinions qui se valent. Un énoncé qui ne se traduit pas dans la réalité, avec en parallèle un individualisme croissant.

Toujours est-il qu’en société et en rapport avec le christianisme, les impacts de cette idéologie se font sentir. «On pourrait penser que nous chrétiens ne sommes pas touchés par le relativisme parce que nous avons une vérité en Jésus-Christ», note Léa Rychen. «Mais avec les grands mythes qui s’effondrent, même en gardant la Bible comme fondement, le chrétien peut ressentir un certain cynisme par rapport à notre manière de vivre en société. S’ajoute à ce constat le rappel de l’histoire du christianisme et de l’oppression des chrétiens sur des peuples d’autres religions pendant des siècles. Finalement, l’Eglise n’est pas imperméable à l’individualisme. Certaines thématiques éthiques ou certains passages de la Bible viennent se frotter à un individualisme parfois inconscient; et c’est difficile quand une parole s’oppose au soi», explique-t-elle encore.

Selon Jean-René Moret, un christianisme robuste devrait pourtant rejeter le relativisme: «Jésus étant le chemin, la vérité et la vie, le chrétien ne devrait pas avoir la possibilité d’être relativiste.» Et de noter que l’un de ses effets est de freiner la motivation pour l’évangélisation et le témoignage. «L’on commence à traiter la foi chrétienne comme une conviction personnelle vraie pour soi mais pas forcément vraie pour son entourage. Et comme ceux qui ne partagent pas cette conviction ne s’en portent pas plus mal, il serait inutile de témoigner. D’autre part, en renonçant à l’idée de vérité absolue, on en vient facilement à retenir de la Bible uniquement ce qui nous arrange. C’est vivre une foi chrétienne avec un Jésus à mon image. Ce genre de foi ne met pas en mouvement.»

Annoncer l’Évangile dans une société individualiste

Dès lors, pour communiquer avec une génération relativiste, comment l’Evangile reste-t-il pertinent et digne d’être annoncé? «Quand on évoque la foi chrétienne, les gens pensent très rapidement à un salut par les œuvres», explique Jean-René Moret. «Selon cette compréhension, si les chrétiens sont sauvés c’est qu’ils croient être meilleurs, être supérieurs, à cause de ce qu’ils font.» Et donc de souligner la nécessité de la communication du message de grâce en premier lieu.

Léa Rychen abonde dans ce sens: «Le christianisme ne repose pas seulement sur des fondements moraux mais sur une personne. Dans le contexte relationnel dans lequel nous vivons, l’Evangile présenté ainsi est plus simple. Mais ça n’évite pas systématiquement une réponse du type: “Cette personne elle est Dieu pour toi, mais pas pour moi”, à laquelle il est difficile de répondre.»

Pour Jean-René Moret, toute approche n’est pas toujours utile. Selon le pasteur, il y a un temps pour susciter l’intérêt pour la foi chrétienne sans attaquer le relativisme. «Le témoignage reste un élément important dans l’annonce de l’Evangile. Je peux témoigner de ce que ce Jésus a fait pour moi. C’est mon avis, mon expérience. Ce genre de langage parle», détaille-t-il. Dans d’autres temps, on peut démontrer que le christianisme est unique par le fait que Jésus est mort et ressuscité sur une croix pour sauver l’humanité et attaquer le relativisme pour en démontrer les failles.

Pour Léa Rychen, une mise en contexte est nécessaire pour que l’annonce demeure pertinente: «Evangile – de euangelion – signifie “bonne nouvelle”. C’était le terme communément utilisé pour annoncer la bonne nouvelle de la victoire d’un roi régnant au premier siècle. Les Evangiles ayant été écrits à cette époque-là, le terme est resté et est devenu exclusif à l’annonce du règne de Jésus. Il représente l’arrivée d’un Royaume qui bouscule les codes et qui renverse les fondements de l’époque en se déclarant la vérité ultime en la personne de Jésus.»

Si elle indique que l’individualisme a des apports positifs d’ailleurs inspirés du christianisme – notamment le respect de soi, la valeur sacrée de l’être humain – il est une affirmation toutefois importante: l’être humain tire d’abord ses origines de Dieu. «Si d’un côté l’individualisme est érigé en valeur absolue voire en religion, l’Evangile, de l’autre côté, nous demande de mettre l’amour du prochain et son intérêt en premier. Il demande d’estimer la valeur des opinions et la valeur des autres êtres humains, dans une logique de service et d’amour mutuel.» Des valeurs finalement très proches de ce que prône le relativisme dans son désir d’humilité…

Et la jeune femme de conclure: «Quand on veut annoncer l’exclusivité de l’Evangile à une jeunesse relativiste, il s’agit de montrer comment Jésus vient répondre aux aspirations d’une génération qui veut éviter l’oppression du pouvoir de la pensée, l’oppression des Blancs qui cherchent à définir la vérité des Noirs, des hommes qui cherchent à définir la vérité des femmes, de l’Occident qui cherche à définir la vérité de l’Orient, etc. L’Evangile répond à une génération individualiste en quête de communauté, de reconnaissance, d’amour. Jésus incarne tout cela.»

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Mars 2024

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