Skip to content

«Conjuguer l’amour de l’ennemi à la défense des opprimés»

© DR - GettyImages
Les différents conflits qui meurtrissent l’humanité laissent parfois un sentiment d’impuissance. Entretien avec Salomé Richir-Haldemann (photo en médaillon), nouvelle coordinatrice romande de StopPauvreté, impliquée dans le réseau «Church and Peace» (l’Église et la paix).

Dans le contexte du conflit en cours au proche-Orient, on peut se demander Pourquoi la guerre est toujours une composante de notre humanité, malgré la souffrance engendrée…

Il est vrai que cela nous interpelle! En 1920, on pensait déjà que la Première Guerre mondiale serait celle qui mettrait un terme à toutes les guerres, la «Der des Ders». Pourtant, malgré sa futilité et les souffrances qu’elle engendre, la guerre continue de faire rage.

Il existe deux écoles de pensée sur l’origine de la guerre. La première considère que la violence est ancrée dans la nature humaine: les êtres humains deviennent agressifs pour se défendre ou quand ils souhaitent obtenir quelque chose. Elle serait donc inéluctable. Pour la deuxième, ce sont les systèmes injustes dans lesquels nous évoluons qui conduisent à la guerre. Dans les deux cas, ni la nature ni les structures ne changent facilement et la guerre perdure.

Il est important de garder à l’esprit que les conflits violents existent sur une échelle qui va du niveau inter-individuel à la guerre, en passant par le conflit armé inter-groupes. La seule différence est le nombre de personnes impliquées dans les violences, puisqu’on ne parle de guerre qu’au-delà de 50 000 combattants. Dans tous les cas, la violence est utilisée de manière à contraindre l’autre à faire ce que nous voulons qu’il fasse. Et malheureusement, vouloir contrôler ce que font les autres est un désir très humain.

Publicité

Comment les Églises peuvent-elles œuvrer à rendre la société plus pacifiste?

Au niveau structurel et culturel, les Eglises peuvent apporter plus de paix à la société en travaillant pour la justice, aux côtés des personnes et des populations opprimées. Paradoxalement, les Eglises doivent donc être parfois prêtes à attiser le feu d’un conflit – sans user de violence – pour mettre les injustices en lumière et déclencher le changement.

Cela peut prendre la forme de manifestations, de plaidoyers, d’implication dans la vie citoyenne ou associative. Au niveau interpersonnel, les Eglises sont un vrai laboratoire de conflits. Ces derniers sont inévitables entre toutes ces personnes différentes et convaincues d’avoir raison. C’est l’endroit idéal pour apprendre à vivre avec les autres, pour travailler sur nos attitudes, dans la prière et avec l’aide de Dieu.

Dieu appelle à aimer ses ennemis et à ne pas rendre le mal. Cet appel concerne- t-il uniquement nos relations personnelles ou est-il une réponse à plus haut niveau?

Comme nous l’avons vu, les conflits violents existent sur une échelle d’intensité variable mais les dynamiques sont tout à fait comparables. Décider de limiter les principes bibliques à certains barreaux de l’échelle impliquerait une casuistique complexe. A partir de combien de personnes impliquées dans le conflit pouvons-nous arrêter de tendre l’autre joue? Cinq? Vingt? Cent? Je suis convaincue que ces principes s’appliquent à l’ensemble de l’échelle des conflits.

Comment réagir lorsque nous sommes victimes d’un conflit qui nous dépasse (armé ou politique) et qui touche à nos droits ou à nos acquis?

Il faut faire attention à ne pas évaluer les conflits seulement en fonction de leur effet sur nos droits ou nos acquis. Quand nous faisons partie d’un groupe privilégié, un mouvement vers plus de justice peut ressembler à une réduction de nos acquis, mais doit pourtant être encouragé.

Dans ce cas, les critères de résistance au conflit sont donc plutôt l’injustice et l’oppression d’un groupe. Je crois que nous sommes appelés à poser des limites au mal en cherchant des façons créatives de conjuguer l’amour de l’ennemi à la protection des êtres humains. Les mouvements de résistance non-violente vont dans ce sens.

Quelle attitude adopter lorsqu’on est témoin d’un contentieux entre des personnes ou des groupes?

Je dirais qu’il existe deux cas de figure, selon qu’il s’agisse d’un conflit entre deux personnes ou deux groupes de forces égales ou non. Parfois, il est préférable de laisser deux personnes résoudre leur contentieux entre elles: s’en mêler, trancher ou prendre parti n’aide pas vraiment. Nous pouvons écouter les personnes en conflit et les renvoyer l’une vers l’autre en les encourageant à en parler directement entre elles. De même, en cas de conflit entre deux groupes, la sagesse nous invite à résister à l’envie de rejoindre un groupe contre un autre.

La meilleure des attitudes est de créer des liens entre les deux groupes en leur rappelant à la fois ce qu’ils ont en commun et les divergences au sein de leur propre groupe. Si nécessaire, nous pouvons rappeler à l’ordre les comportements inacceptables des deux parties.

Bien sûr, les limites de ce conseil se dessinent s’il y a un gros différentiel de pouvoir, une injustice marquée ou une situation d’abus. Dans ces cas-là, nous sommes appelés à soutenir les personnes opprimées. Comme le disait Desmond Tutu, «être neutre dans une situation d’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur».


Propos recueillis par Joëlle Misson-Tille et Sandrine Roulet, collaboratrices du magazine annuel de StopPauvreté

En partenariat avec StopPauvreté

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui Février 2024

Publicité