– Cesse de te torturer, cela n’avance à rien!
– Et que veux-tu que je fasse? Regarde autour de moi! Dis-moi si tu vois quelque chose à faire, quelque chose qui pourrait m’occuper l’esprit, m’empêcher de ressasser sans arrêt.
– Je ne te reconnais plus! Tu n’étais pas comme ça, avant.
– Et j’étais comment, avant?
– Tu étais enthousiaste, plein de certitudes. Tu nous galvanisais par ta foi et ton action. Tu trouvais toujours les mots justes pour bouleverser les gens, les amener à changer leur vie, à réformer leurs voies.
– Oui, mais c’était… avant!
– Avant qu’ils ne t’arrêtent…
– Non, avant qu’il ne vienne! Quand il est venu, quand je l’ai vu marcher vers moi sur les rives du Jourdain, quand j’ai senti son regard sur mon âme, j’ai su. A ce moment-là, il n’y avait aucune place pour le doute. Tout était limpide. Ma naissance, mon appel, mon ministère, tout trouvait un sens. J’avais vécu pour cet instant-là, pour l’accueillir et le désigner comme Messie d’Israël. Tous les prophètes avaient rêvé de cela, et c’était à moi, Jean, que revenait l’incroyable honneur de dire à Israël: «Voilà ton Sauveur!»
– Et puis, il y a eu encore la voix venue du ciel: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé». Et maintenant, tu doutes!
– Je n’imaginais pas que les choses allaient se passer ainsi. Je n’imaginais pas la prison, la solitude, le rejet… J’espérais autre chose. Je pensais, je ne sais pas, je pensais…
– Qu’il te prendrait avec lui?
– Oui, peut-être. Je pensais devenir un disciple ou une sorte de conseiller, de bras droit. J’espérais jouer un rôle.
– Mais tu avais pourtant dit qu’il devait croître et que tu devais diminuer.
– Oui, je l’ai dit, et je le crois toujours. Mais, je n’avais peut-être pas pensé diminuer autant! Et puis, il y a tout ce que les gens disent à son sujet!
– Oh, les gens!
– N’empêche, où sont les signes promis? Où est le Royaume qui devait venir? Pourquoi tarde-t-il tant à montrer son autorité? Les Romains sont toujours là, souillant la ville sainte, écrasant le peuple sous une loi impie. Et ce renard d’Hérode, chien putride vautré sur son trône! Quand tout cela finira-t-il? Si je m’étais trompé… Si ce n’étais pas lui, le Messie…
– Comment être sûr?
– Va le lui demander. Dis-lui que tu viens de ma part. Dis-lui que je dois savoir, que je suis prêt à mourir s’il le faut, mais que je dois savoir si c’est lui le Messie promis, ou si je dois en attendre un autre.

Pierre-Yves Zwahlen

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui – avril 2012

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