– Alors, Matthias, tu passes sans me voir aujourd’hui?
– Très drôle, merci! C’est pas gentil, tu sais, de se moquer d’un aveugle et crois-moi, même aveugle, je ne pourrais pas te rater. D’abord parce qu’il y a bien trente-huit ans que tu es affalé contre ce pilier et ensuite, parce que tu pues comme un troupeau de biques!
– Et comment veux-tu que je me lave? Tu sais bien que je peux pas bouger. Je suis paralysé! C’est trop difficile à comprendre pour ta petite tête? Si tu me voyais, tu poserais pas la question.
– Allez, te fâche pas, je sais bien que, de tous les pauvres bougres rassemblés autour de ce fichu bassin, tu es le plus à plaindre. Mais tout de même, qu’est-ce que tu pues!
–CREDIT–
– Matthias, je voulais te dire. Je crois que j’ai trouvé un truc.
– Un truc pour quoi faire, pas pour te jeter au jus quand même? Parce que moi, je te le dis, si on te balance au jus, tu coules aussi sec. C’est pas un truc pour toi, la flotte.
– Tu connais le nouveau rabbi? Celui qui vient de Galilée?
– Tu parles duquel? Il y en a beaucoup, ces temps…
– Jésus. Figure-toi que je connais quelqu’un qui connaît un de ses disciples, Simon, un ancien zélote.
– Zélotet? Pas bon, ça! Fais gaffe au peu de peau qui te reste!
– T’inquiète! Mon pote va rencontrer le pote à Jésus et il va le convaincre de passer me voir.
– Et il va te balancer dans la flotte, le pote du pote à ton pote? C’est pas un peu compliqué comme plan?
– Il va pas me jeter à la flotte, le rabbi. Il a pas besoin de ça, il va me guérir, comme ça, rien qu’en me regardant!
– Pfff! Un miracle? Tu y crois encore, à ces bêtises? Et même s’il te guérit, le rabbi, tu vas aller où, tu vas faire quoi? Ça fait un bail que tu vis là. On est ta famille!
– Ben, je sais pas trop. Me laver! Et puis après, on verra bien. Une chose après l’autre. Il faut d’abord qu’il me guérisse. Mais tu devrais rester, Jésus ne va pas tarder à arriver. Mon pote m’a dit qu’il passerait par là en allant dans le Temple.
– Tu veux dire qu’il va venir aujourd’hui pour te guérir?
– Oui M’sieur!
– Eh ben, je veux pas te décevoir, mais t’es mal parti, mon pote! C’est shabbat, aujourd’hui! On ne guérit pas un jour de shabbat. Je te le disais: tout ça, c’est des paroles, des paroles et du vent. Allez, à demain, même pilier, même crasse, même heure!
pierre-yves zwahlen

Christianisme Aujourd'hui

Article tiré du numéro Christianisme Aujourd’hui – juin 2010

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