Six étapes
L’addiction se définit comme la perte de la liberté de s’abstenir. Celui qui n’est pas, ou plus, libre peut être résigné et définitivement victime. Souvent, il ignore son état et les bienfaits de le quitter. S’il est conscient de sa perte de liberté et qu’il en souffre, il aspire à s’en affranchir. Mais le prix peut être très élevé. Alerté sur sa dépendance, dont les conséquences deviennent graves pour lui-même et ses proches, le malade niera la réalité. Il affirmera souvent pouvoir s’arrêter sans toutefois jamais se tester à l’abstinence pendant une période significative. C’est l’étape du déni.
Mais tôt ou tard, notre sujet sûr de lui va devoir affronter un événement suffisamment brutal et imprévu qui le mettra face à sa réalité: perte d’emploi, divorce, faillite, retrait de permis voire accident de la circulation. C’est l’étape du «mur». La prise de conscience est inévitable, la sortie du déni douloureuse et les bonnes intentions s’imposent. Mais l’attachement au mal est encore fort.
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Une fois remis du choc, commence l’étape de la négociation: «était-ce vraiment si grave? N’y avait-il pas d’autres facteurs à prendre en compte? Quelques aménagements devraient suffire, histoire de limiter les dégâts et de mieux maîtriser les conséquences». Derrière tous ces arguments se cache la force du lien que la raison tente de sauver, alors que la conscience l’avait si bien condamnée. Cette phase peut durer longtemps. Car il peut être difficile d’abandonner des habitudes quand celles-ci sont associées au plaisir physique et même à l’exigence du corps, quand la dépendance est installée, ainsi qu’à la construction psychologique et sociale. Car la consommation est souvent associée à des rencontres, à l’affirmation de son appartenance au groupe.
Après le mur, le changement va s’imposer. C’est l’étape de la décision: décider et prendre les mesures qui conduiront au changement radical de comportement. L’étape du sevrage proprement dit arrive enfin. Presque impossible d’y arriver seul. L’accompagnement est un grand facteur de réussite. A la sortie, une étape nous guette, celle de la rechute, comme si un lion rugissant voulait retrouver sa proie perdue. La victoire définitive, la dernière étape qu’on est sûr d’avoir atteinte après un certain temps de sevrage, est enfin là.
Tous complices
Notre société est tombée dans une dépendance aux biens de consommation, à l’énergie bon marché et autres produits qui nous empoisonnent, à des mécanismes économiques dont nous sentons les ravages. Avons-nous encore la liberté de nous abstenir de tant de choses? On applaudit aux mesures de redressement de l’économie qui se traduisent par des «primes à la casse». Le «droit à la croissance du pouvoir d’achat» est là comme une corde au cou des dirigeants politiques. Et qui reprocherait, selon nos postulats modernes, à nos chefs d’entreprises de ne pas chercher à créer de nouveaux marchés pour leurs produits, au prix de savantes campagnes de communication qui n’ont d’autres objectifs que d’exacerber nos besoins?
Nous sommes tous complices, producteurs et consommateurs, clients mandatant les organismes financiers pour assurer la sécurité de notre avenir. Et pourtant on le sait, ça ne peut pas durer; tant d’inutile est préjudiciable pour l’environnement et notre empreinte écologique est insoutenable. La sanction sera terrible. Elle l’est déjà pour les plus pauvres.
Nous commençons seulement à émerger de la phase du déni. A l’affût des nouvelles agréables, les hommes se donnent une foule de docteurs choisissant ce qu’ils désirent entendre.